I. Inhabiter
Inhabiter est un verbe pour une naissance, pour
ceux qui naissent, celles qui attendent, ceux qui ne sont
pas encore, celles qui ont grandi depuis. Ce n’est pas
déshérité qu’on naît sur terre, mais la difficile forme de vie inhabite
tout au début, la lumière et les taches chromatiques qui nourrissent
les premiers arcs de l’attention,
et que la chair s’anime, chevrotante, tigre et agneau
chair vive de questions du bout des phalanges et de doigts tremblants.
Nous n’habitons qu’une créature qui aime couleur et lumière,
et nous inhabitons ce que langue baptise et rebaptise
de mots pour se convaincre d’une réalité. Et du réel
d’une habitation et d’un habitacle. MONDE.
Et dont les signes dont BAL, ONDE, BALLON,
et encore d’autres résonances peut-être plus limpides.
Quel corps nouveau se traînera vers de si limpides refus ?
Avant nous, un jeu qui nous met en fuite de nous-mêmes.
C’est avec l’habitude
qu’on habite en prenant ses appartements du monde,
finalement, comme des fantômes qui se croient de chair
et tout habillés, clairs ou sombres
de vêtements réels.
Sans fatigue au début, ou presque jamais
c’est ainsi que cela naît.
Lorsque j’eus atteint ma première minute
j’ouvris les yeux à des visages brouillons
et des voix balbutiantes.
Et sans les yeux je sus
les os et la saigne de mon habitat sans cri.
J’avais la peau en surface, déficiente —
déficiente robe de corps d’intérieur,
avec des rougeurs et des pâleurs, comme dans les cas de feux sans preuves.
C’est une robe qui fait corps comme un linge humide de lin sans épaisseur.
Échancrée, une blouse, grise de cœur. L’invention suffit
à se croire
habitant. Le faste des fables à la maison
qui nous laisse reposer sous des montagnes lourdes.
Déjà allant au bout du pont qui donne sur l’eau.
Dans les eaux douces le poisson-archer mesure les espaces
les moments et les angles ; sans voir
il voit.
Loin derrière moi une voix m’appelait.
Sainte Vêpre aux ongles souillés du jardin retourné — ne reste pas si près de l’eau.
Combien l’eau doit être inhabitable, qu’on la craigne comme la teigne des petits animaux familiers.
Mais l’eau parlait d’une voix claire
et appelait par des syllabes mouillées de promesses.
La voix Fleuve, neuve hier comme ce jour, enfle
comme un dos à la surface, et te dit : viens et descends.
Tu lui as donné le nom de Fleuve, parfois de Ruisseau
ou de Courant
car il te semble qu’elle n’est pas la même matière et force
que l’étendue et l’horizon des eaux mêmes.
Et tu écoutes cette voix et sa promesse,
car tout dans l’inhabiter de l’air
est devenu irrespirable. Tout est corpuscule
envoûtements de vies frénétiques,
si dur, si tranchant
d’arbres encâblés liés par leurs crachats électriques.
Pourquoi hésiter ? De quoi as-tu peur ?
J’ai peur d’être la proie de ce qui me sauve.
Laisse décliner à tes chevilles ton oripeau qui ne protège de rien.
Je tenterai ma chance, sans grande conviction.
La lumière du matin adoucit de nuit les morsures,
lorsqu’elle se prolonge de doigts roses sans gants.
Dans le clos noir de l’une des chambres innombrables
à l’air bâti — tu es l’hôte immobile de palais très anciens.
Où elle, toi et moi, s’inspirait de farces et désespoirs.
Par exemple, nos bouches et nos fronts
captent à plusieurs reprises
une joie augmentée (l’onde sans front du bonheur nu).
Entre des dents, un dé de 6
entre tes incisives
et après avoir roulé entre dents et muqueuses
un nombre paraît, une face numérale
par les dents ou par recrachat,
ainsi à ce moment nous rions
de tous les nombres et faces manquantes
d'1 jusqu’à 6.
Nos actes d’enfants sont maintenant moins visibles.
Personne ne compte et ne croit plus ce qui manque.
Nous étions sans lune, sinon un ballon renfrogné,
un peu dégonflé, à force d’avoir trop attendu
d’être joué, de chocs
et de coups de pieds innocents.
Balle parmi les balles de toutes dimensions.
Un jouet lancé trop loin sur la mer,
emporté à la dérive, flotta
en girant sur lui-même, boule jaune
sur le bleu aux dents blanches.
En le voyant s’éloigner
tu pouvais voir l’âme des chaînes futures
l’ample et doux mensonge
de te sentir libre.
Souvent l’avenir ne trouve pas de prémices
dans le présent
mais dans le passé accompli.
Pourquoi hésiter ? De quoi as-tu peur ?
Les courants chauds et froids
se disputent les influences
et les vies sans bruit.
Les âmes par l’eau enchaînées
seraient plus libres
que d’être la terminaison de maillons
et d’anneaux de fer forgé ?
Un ami a dit :
j’irai traire la vache au matin
je boirai son lait et
je m’occuperai du fourrage
au matin,
avec un bracelet à ma cheville meurtrie.
Ne sois pas complice de rivages
et de riverains. J’aime,
dit-elle,
les hommes attentifs à leurs travaux,
conscients et attentifs
à leur temps imparti.
Mais comment sais-tu si telle vie
doit être épargnée
et une autre abolie ? L’amour —
sa caresse prône l’un
ou l’autre plateau de la balance.
Mais lorsqu’il t’étreint, le dit :
sauve-les toutes et tous,
du premier au dernier
en détail et en entier.
Il a été décidé pour moi
que je prendrai plusieurs visages —
un masque de pierre
une peau écailleuse
et d’autres physionomies que tu ne connais pas encore.
Une voix prévenante au discours préventif — est-ce toi encore ?
Les paroles sacrées et les théâtres des libertés sombres et violents
n’ont pas été créés pour être lus et interprétés
par des démons coutumiers et locaux
et des auxiliaires avides et jaloux
des verbes de l’attente et de l’accomplissement.
De quoi as-tu peur ? À la surface
ce que les humains nomment monde ou cosmonde
n’est que région morte, où respirer
donne la mort pulmonaire. Les feuilles d’arbres
flottent et tombent en flocons de cendres.
Ce ne sont que détails et photographies partiels
de la grande nécrose d’espace.
Ils emménagèrent dans des tombes résignées — des
tombes de survie, amputés des sens,
des arômes et des couleurs.
Ils formèrent des rangs de noms sans visages
ou des visages aux sourires et aux pleurs
brouillés à l’acide blanc de l’oubli.
Nulle lumière filtrée
ne viendra aviver leurs restes si bas.
Commence le lent veuvage de la terre d’en haut.
Pourquoi hésiter ? De quoi as-tu peur ?
Se perdre et céder à cette perdition — déperdre
est le contraire de dépendre.
Cette voix, encore, qui est l’eau même
parmi les eaux mêmes ;
il faut sortir des angles aigus
et des diffractions, sortir
des réfractions qui te persuadent
qu’une surface n’a pas à être traversée.
Il faut entrer, maintenant, aller prendre l’eau
apprendre à respirer sous l’eau
n’être que silhouette avant d’oublier
qu’il y eut des silhouettes d’abord,
se laisser couler, hésiter, au début
comme une ombre de toupie,
remonter à l’air bleu pâle,
par instinct, replonger encore
sans avoir de tête bien dessinée,
s’être dévêtu dehors
et se vêtir dessous
du vert des algues sans paroles,
se laisser dévêtir, plus bas
encore, des derniers rayons du jour venus d’ailleurs.
Car sous la mer
tes yeux tournés vers les murmures blancs de la surface
tu vois que tu viens d’ailleurs.
Si tu as encore une tête et des yeux,
regarde plus bas
vers le royaume des hauteurs négatives.
II. Le Bain — Les eaux mêmes
Immersion — ne pas se débattre
ou chorégraphier les vagues
et les émulsions,
l’imagination doucement bouillonnante.
Une fois entièrement englouti et bu
à petites gorgées —
accepte de te laisser couler.
Trombes et vortex, aussi petits
qu’infaillibles te démembrent sans violence — tu
ne sais plus ; es-tu déjà une
noyée ?
Une mort de plus ?
Un corps gravement lesté
coulant sans fin, sans étapes
ton corps creuse un berceau
dans des draps sans lumière.
Il y eut des seuils, des étapes pourtant ; de ce côté
il entendait l’inentendu qui manquait à l’appel —
moins de 20 Hz, sous la mer
son oreille interne de méduse apprivoisée — rhopalies.
Rhopalies d’organes compacts, récepteurs sensoriels.
Un poids t’entraîne vers des fonds informes —
un nuage noir de suie ? Non
ce n’est que l’encre lente d’une pieuvre.
Si tu veux connaître le froid ou le peu de feu des êtres
il te faudra leur toucher les mains et les doigts.
Ses doigts et ses orteils sont des ocelles
des yeux à facettes
des pustules transparents qui te regardent en paix.
Es-tu encore la forme de vie qu’ils ont vue naître ?
Es-tu encore ta forme de naissance ?
Tête et œil aux écailles soulevées
palpitantes comme des stores vénitiens,
volets et rideaux mus remuements d’amour.
Des lettres et des croches stagnent
et même remontent vers le clair.
Une bague coule
plus lourde que toi.
Car ce chiffon que tu es se dénoue en draps ralentis
inorganiques couleurs indolores —
rouge, bleu sombre, violet
mangées de noir
et de vert absolu.
J’ai de la vision la faiblesse
de lui appartenir.
Il n’y pas les yeux, et les possibles
d’être ouverts et fermés.
Je suis dans la profondeur depuis si longtemps
que l’ouïe des ondes aériennes
m’est inconnue.
J’entends par et dans
le clos amniotique de ma pensée.
Ainsi, étranger par conséquent à tout
ce grand nombre d’yeux et d’oreilles étrangers
qui me devinent —
couler dans
le gouffre incolore
l’anonyme qui appelle.
De la terre à la surface de ta planète
je ne vois que le bord elliptique
qui s’éloigne flou à contre-jour.
Parfois je crois deviner des radicelles
ou des roseaux un peu immergés, des ombres,
mais c’est peut-être parce que submersif je vous vois encore,
silhouettes en train de se figurer d’être en vie.
À moins que mes cils.
Le reste des franges du manteau de mes yeux.
Avant de fondre.
Aurai-je encore des lèvres et d’autres muqueuses
pour me signaler que
je ne suis pas tout à fait seul
à n’être pas.
Si j’étais encore vivant comme un humain vivant
cela voudrait dire que j’ai survécu à la noyade qui dure peu.
Que les poumons par une chimie inconnue
sont devenus réserves inépuisables d’air,
ou organes amphibiens.
Mais comment parler de corps, d’organe du moi
qui n’est qu’identification à tout ce qui passe,
devient, s’arrête ou fléchit ?
Je n’ai pas résisté. J’ai plongé sans m’appartenir. Je n’ai pas plongé. Je suis né
en coulant, sans m’appartenir,
sans la forme d’être moi.
Sur ce chemin de l’aveuglante région
je rencontrai un poulpe ou un semblable penseur souple.
De son encre de mots en formation
il éclairait les profondeurs d’un noir plus profond.
Ici, les yeux sont brûlés
par les mêmes feux
que les oreilles devinent.
Ici je règne sans nom,
sans tiare ni couronne
sur les frontières immuables
cependant mobiles
tempéraments, changeantes
introphanies,
extinctions après extinctions,
de sorte que nul
ne peut en retenir
le fuseau des apparitions.
Ici je ne pleure plus des délivrances qui ne viendront jamais,
je ne pleure plus que la mer entière
qui ne connaît pas les yeux et les larmes,
ni les tiennes, ni les miennes.
Je suis dans la profondeur
depuis si longtemps
que je n’ai pas idée ou souvenir
d’avoir respiré
d’autres humeurs
d’autres mondes.
Et ces voix qui étaient miennes et non les miennes
mais les fruits sonores d’un certain arbre (par image)
qui avait rapetissé en quelque endroit de mon corps,
comme une main et des doigts
poussent ou se fanent
dans la main et les doigts réels que la nature consciente a conçus — qui ?
Qui parle ici de son ici
sans que se décèle un nom ? Seul trans-aberré
je clignote sous ma peau translucide
comme pour mimer mon apparaître
avant d’apparaître, ou bien après
que d’être la forme mimée, enfin en vie.
La primale se tait et se fait oublier.
Je ne serai plus le mendieur
d’arbres et de fleurs disparus.
Mendieur d’asphyxiantes beautés ? Je ne pleure.
Un soleil abstrait passe sur ton visage,
et tu sais qu’il n’existe pas.
Depuis longtemps je t’ai cherché
sous la paupière du monde —
depuis tant et tant d’années, des siècles je te cherchais
dans la poussière, dans les bosses oculaires des statues infirmes, rien
ne répondait à mon regard, rien
dans l’immobile arrondi d’un globe de calcaire.
Bien loin sous les vagues
des statues aux chevilles et aux cuisses fendues — derniers
restes d’oracles anciens ou de tombeaux.
Pourquoi as-tu gardé ces yeux
alors qu’ils ne sont jamais faits pour voir ?
À l’air libre les monuments
t’envisageaient sans te voir.
On en balayait les socles,
époussetant les titres sculptés et les orteils de pierre lente.
Tu vois que tu n’as pas oublié.
Il y a eu des sculpteurs de titans aveugles.
Tu y tiens encore, à ces temples rudes
que le soleil baignait souvent.
Tu te souviens ? Qu’à l’ère des élévations antiques
les hommes chuchotaient devant des pieds de géants.
En d’autres temps d’effarantes libations de lumière et de sang
suffisaient à animer les statues de grognements, assourdis prestigieux.
Maintenant que tu es aux vestiges
engloutis dans les fonds indisponibles déesses et rois,
tu les baiseras d’une bouche humide et salée
et tu verras la mort dans leurs yeux immobiles.
Ne fuis pas.
Ne fuis jamais.
Il n’y rien à fuir.
Rien dont tu t’échapperais,
si l’envie t’en prenait.
Tu te laisses couler, encore
jusqu’à une phase prochaine —
arc-en-mer sans iris.
Sans appel, aucun signal
bien que survive
un « nous » muet et aveugle.
Se rêver scaphandre,
enfin, se remémorer
un corps et ses limites,
au moins un corps et ses limites.
Suis-je encore en mesure de dessiner
redessiner les aspérités, arcs et bords d’angles
s’ils se présentent ?
Loin dedans, loin dans le vaste et la profondeur,
suis-je encore ? Je, encore ? Vivre sans se penser vivant
sans y croire, ou presque, simple masse
d’être-descendant, sous, dedans, de nulle part,
descendant de nulle part.
Loin de lumières, lampes-torches
ou fastes ors d’empires, (ici le cuivre brille plus loin que l’or) sans l’emprise
du soleil qui traversait la poussière en lignes droites
et obliques — traversait les terres acides, inclément de chaleur —
traversait l’humain anéanti
par ses propres inclémences.
Nous voici — nous ?
À gravité lente
aspirés
vers un fond
un fond noir sans trésor.
Qui de nous attend encore
que se dispersent
les eaux mêmes
et le noir ?
Qu’une lumière
vienne
de l’invisible ? Si
si on la sent de dos, une chaleur
ou une main rapide,
une caresse d’oxygène
libérée des ongles souples d’algues.
Inutile de se débattre sans corps, sans maintenant —
maintenant
sans corps de mots
S.A.N.S. C. lueurs de lettres noires. A.
N.O. Anneau a plongé plus bas
plus vite
plomb ou cuivre.
Coulent dans l’opaque
la pesanteur et les liens. Eschyle.
Le sang des eaux mêmes
n’est pas un sang humain.
Les arcs de l’aurore
et les constellations invisibles — obscurément me visitent
des silences sans images,
sans rester, elles regardent.
Ne te cherche pas de témoin.
Ne te cherche pas de foi frauduleuse.
L’inexistence est le cadeau que fait la vie.
Certains ont été promus rois et reines, déesses et dieux ;
c’est qu’ils ont dû tricher
à un jeu dont ils croyaient
connaître les règles.
L’Occident nous endort de règles incomprises.
Me vient comme un vif et bref coup de rasoir la pensée : et si je ne ressentais rien ?
Et si je ne ressentais plus ; et si je n’avais rien éprouvé
qu’allusions timides à des formes de vies ?
(la signification de —
l’inhabitation du monde ?)
Un peu plus haut, avant ces dernières paroles,
j’assistais au spectacle de deux adversaires ; diatomées
algues monocellulaires
armatures fines de silice, mais
comme si le mot disait
qu’elles se recoupaient après avoir été une première fois sectionnées.
Elles ne réclamaient rien de plus que de la lumière
mais elles s’étaient convaincues
et alliées
de combattre pour
une seule lumière
dont une et une seule aurait le triomphe et la garde.
Sans patrie, sans île ni découverte
la cartographie perd le rêve de méridiens
et de rhumbs. Les compas
s’ennuient de navigateurs
depuis longtemps disparus.
Pas de pas. Sapé par les fonds,
comment appelleras-tu cette danse
maintenant que tu es sans corps ?
Je l’appellerai. Mais comment ? Sans langue sans cerveau sans pied
de cadence, de sol et de levée.
Tu l’appelleras VERBE (des lointains profonds).
Répète. Je ne t’ai pas bien entendu.
DES LOINTAINS PROFONDS
où les lancinants fantômes
se parlent entre eux
sans s’obstruer d’horizons absurdes.
Un murmure continu des eaux mêmes
fait danser les dernières formes de vies — qui
sont ironiquement des forces sans effets,
qui se perdent en silence
avant de recommencer,
inguérissables pourvoyeuses de lointains profonds.
Ce sont de pleins lointains que tu appelles « proches ». C’est
l’absence de dimensions que tu appelles « vide », ou
« espace vide ».
Non, tu scrutes encore l’obscurité
à la recherche d’une lumière fossile.
Il n’y a pas de paysage, il n’y en a plus
dans le noir de plus en plus noir
où tu n’as plus de corps
mais des limbes qui te défont sans douleur.
Les vibrations anonymes se multiplient
et traversent les verbes
qui en retiennent les semences des NOMS.
Ici encore ma voix s’abrège
en tant qu’elle n’est pas moi.
Je me laisse tomber, sans force
comme une bouche
sur son baiser.
III. La Chambre
Est-ce une buée, un voile de
gouttelettes insonores — un scellé
posé sur une porte (sur le mot « porte », ainsi perçu P.OR.T.E.ROR.TE).
Ma voix intérieure n’est pas mienne
mais un appel
qui vient de plus bas. Scellé bas.
Est-ce une porte ? Une porte qui grince ?
Une porte scellée sur une lumière seule.
Un instant de lueur nouvelle
et je retrouvai la souffrance d’avoir été.
Là, sous mes yeux métaphoriques
une épave comme un ventre de boule d’acier
à rivets, et soudée de main d’homme, aucun doute,
mais de quelles mains ? Et de quels hommes ?
De la buée sur des vitres épaisses cependant de consistance liquide —
c’est une chambre insomniaque
quelque part, depuis toujours, un vaisseau coulé
dans une fosse sans repères —
une cellule,
une grappe de minuscules points de lumière
et une vallée, et des bagues et d’autres joyaux pauvres en or.
L’anneau est tombé parmi les grappes, je ne sais
que voir et comprendre — un panier de roses,
un bain dans un bain
et plus, des perles de rosée que l’immensité égare vite —
l’anneau signifiait l’annulation ?
Fratrie de sons graves et lourds
qui survivent aux basses pressions
et aux températures.
Qui a voulu ce crâne accueillant,
de ces tempes de métal — de ces hublots
qui marmonnent comme des pluies
chahutant la flaque ou les toits anciens.
Laissé pour mort, tu
l’es — tu l’étais.
Mon œil fut noyé d’un baiser sang
de lèvres, une fleur noire
parmi des jardins de fleurs noires, œil sans défense
parmi des roseraies aveugles.
Entre. Voici qu’il entre. Elle aussi.
Les roches aussi se sont inventé des histoires
et les gouffres ont trouvé des fabulistes habiles et efficaces. La cellule :
est-ce encore ce que colportent les morts d’en haut ?
Cette chambre n’a rien d’une poche d’air ; j’ai vu
la forme et le métal forgé, soudé et riveté par coupes
comme si j’avais été forgeron et ferronnier. Crâne,
ai-je dit, tempes et épave sous-marine, et pourquoi ?
Change ta vision et regarde dedans par dedans,
et le dehors par le dehors ;
c’est membrane — membrane
dans une membrane.
(Dans l’inopérable il laissait son paroxysme à une phrase, puis une autre.
Comme si au détour d’une
tubérosité, d’un nœud, d’un cartilage obtus,
il guettait son ombre parfumée ; le soupçon
de n’avoir jamais été).
Membrane de fibres sur fibres, très fine
et très complètement illuminée.
Au-delà, des ombres pâles
commençaient à se faire deviner.
Du bout de son ongle il déchira la paroi.
IV. S.A.M.
Des boucles de cheveux et des poils odorants —
deux frères, ou bien une
ou deux sœurs
dans un lit endormi et des souffles.
Une chambre sur terre ? Je respire,
il est encore possible que l’air à la surface réveillée
encore possible, possibles : ces boucles de cheveux ? Au réveil ?
Je respire par les oreilles, et je me soigne par l’écoute.
Des rubans de senteurs
dont le rêve avait privé mes sens.
Je reviens des profondeurs,
et des lointains profonds.
Réveillé au musc caprin, réveillé — ibex
dans l’implexité de la coriandre, du jasmin,
rose de Turquie, et au fond du lit
mousse de chêne, oud
et cuir, une peau humaine
un bois de santal ou de cachemire allusif.
L’amour est exact ; les sensations, imprécises.
Les visages sont absents
regardés de si près.
Le grain de la peau, les taches de rousseur
l’iris vert, hétérochromique. Plus près
le signe ↔ de ta pupille ;
tu es l’étoile du Cocher dans un troupeau impatient.
Tout ce qui aurait désespéré mes sens
qui imaginaient
imaginaient vivre la descente infinie……………………………………………………………………………
………………………………Elle béguète des vocales
pulsatiles insensées,
………………………………Sam à la surface du matin. Qui a rêvé ces rêves ?
Qui a rêvé tes rêves ?……………………………………………………………………………Souvent plus vrais
par leur impression plus forte
que par leur véracité et le vraisemblable.
Je réponds à la fable réelle par la fable de ma mémoire.
Je reviens des profondeurs,
des profondeurs des lointains profonds.
Regarde-moi, dit-elle, le lainage gris de ma peau,
Sam à la surface du matin.
Tu ne rêves pas. Tu as trouvé l’habitacle ?
Ta chambre sous la mer ?
C’est ça ?
Tu as entendu les voix ?
Je ne sentais rien des parfums et d’autres senteurs.
Tu as vu les voix ? Les émanations
déroutantes sonorités. Et la chambre ?
Avait-elle une mâchoire et des dents ?
Non, je ne fus pas Jonas ingéré
par son propre esprit.
Je reviens des profondeurs,
et des lointains profonds.
Elle me caresse de l’épaule au garrot
des pointes de l’onglon et du pied.
Est-ce N.A.S.E.A.U.
Que tu as pris pour anneau ?
Elle chevrote, plaisante et rit maintenant.
Dehors, des balles de terre ou de crottin
tombent et roulent
à faible bruit.
Le lit des amants est de paille
et de racines fraîches.
Le fourrage attend, le fourrage vert
et le fourrage sec. Ourania
m’a ramené sur la terre.
Je ne compte pas
les larmes
salées et pleines
de l’océan qui manque à la vie.
Un jour, pendant un rêve ta peau
elle aussi sera écrite comme à Pergame
de ces mots : une chambre sous la mer.