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Ruissellements

Ruissellements
Le texte à pirater.
Le zine à brûler.

Rêves raides dans nos sillages
trop de temps dépensé
temps à imaginer
le bruit que ferait la mort
si on l’écoutait
rêves étrusques qui se fissurent
et les statuaires figées
sédiments d’actualité peut-être
accumulés
mais qui sait pour quoi ?
à quel demain
voués ?
un vivant vient
et tout est à recommencer
à-coups
ou le progrès qui se fait
oui mais par dégoût
un vivant vient
et tous les rivages sont inondés
rives pauvres avant
rimes pauvres après
il faut qu’un os se justifie
en quelque matière
manière de retour à la terre
qui nourrit qui
et jusques à quand ?
en arrière
je jette un regard détourné
il en faut des regrets à entasser
les règles sont l’infraction
sinon on les suivrait
joueur de flûte ivre
ou alors naïf
il ignore la différence
entre une chose et son contraire
le passé et le passage
l’après et puis l’ennui
solitude flasque
on dirait sa vitalité aspirée
engloutie dans un trou
enfouie dans une poche
on ne sait
on n’en trouve plus l’entrée
là où sont conservés les os des âmes
et les âmes des os
une chose donc
et son contraire
toujours l’eau coule
rigole qui à force cause
la destruction
la fin de toutes choses
avec le temps
ou bien de lyre
quatre notes dans le champ chromatique
qui pourraient vouloir dire aussi
le ciel est bleu
le ciel est gris
c’est le moment
la suite hors des idées
le creux qui se forme sur la peau des choses
sur la peau de nos peaux
rides ridules
occasions
quatre notes qui se suivent
et ne veulent rien dire
raison de l’écoute
maintenant et à l’heure de notre mort
une flûte ou une lyre
en sortant de la cavité
où s’illustre la nécessité de vivre
les yeux fermés
pas la cécité
mais quelque chose masquée
aux sauvages que nous sommes
que nous serons
que nous devrons être
la flûte s’oppose-t-elle au vivant
ou le piano qui sait ?
les siècles se collent les uns aux autres
et l’on baptise cela d’un nom grossier
délirant
histoire
qui pourrait encore vouloir vivre dans l’histoire
après tout ce qu’il s’est passé ?
n’est-ce pas là
la plus immense
la plus ridicule
ridule à la surface
de nos paradoxes ?
vivre une vie dans cela pour quoi
nul n’a plus de désir
personne n’eut jamais désir de l’histoire
la faire c’est la subir
mais l’inverse s’annule
se retourne contre soi-même
colérique chimère
tous les temps ajoutés
ne vaudront jamais quatre notes
les unes à la suite des autres
quatre notes dans le champ chromatique
quatre notes simples
quatre notes insensées aussi bien
le ciel est bleu
le ciel est gris
quelle différence cela fait-il
si c’est toujours le même ciel ?
chansons tristes en plein été
insectes prophètes
sous le soleil
chantons ivres en plein hiver
sur le mur de la mer
il y a des signes illisibles
glyphes
que j’essaie de déchiffrer
comme le premier bateau venu dans la baie
la conquête de la calanque
j’imagine
le premier meurtre sans doute
et ses torrents de sang
origine sainte
de notre unique histoire
aujourd’hui et depuis l’heure de notre mort
de la rive jusqu’à la montagne
la présence est barbare
que sont ces formes
sont-elles des gens
pourquoi bougent-elles
et pour combien de temps ?
musique continue
milliards de mélodies
quatre notes dans le champ chromatique
entrer dans l’antre
oracles dans les feuilles
temples en ruines
jusques en haut de la colline
tout part toujours en fumée
toxique
au bout du temps
l’air devient irrespirable
et les corps figés
la civilisation même
écoutant la voix
les visages se crispent
on dirait des statues de pierre
tendues vers l’avenir
mais incapables d’y atteindre
plantées là
graines malades d’arbres
qui ne pousseront jamais
avancer à reculons
profil grec du monde
quatre notes dans le champ cosmique
la route qui monte est la même que celle qui descend
est-ce pensant à Sisyphe
me dis-je
qu’Héraclite eut la présence d’esprit de l’affirmer ?
il n’y a pas d’énigme
qui pourrait se retenir de rire ?
qui pourrait se retenir de recommencer ?
qui pourrait se retenir de mourir ?
trait contre un peuple sans esprit
puritain
on cherche des volumes de peur
de finir écrasé
par tout le poids du passé
toute la masse de l’avenir
et se contente d’une architecture passable
pour qui n’en peut plus d’espérer
cependant que la voix
elle
parle
elle que personne ne comprend
le vent souffle
mais la brume ne se dissipe pas
au-dessus du volcan
semble au contraire s’y arrimer
nuage de fumée
langue de feu
mur de pollution
tout se confond dans l’épaisseur de l’espace
moins les choses sont claires
et plus on s’efforce de les comprendre
la voix parle
et on n’en distingue pas le corps
une idée
une divinité
l’âme
qui traverse les chairs de la génération
bien plus vieille que le bien plus vieux
du premier de nos cadavres
un essoufflement qui transperce le temps
inconsistant
le chant des pierres
à se rendre fou
s’égosiller
comme si l’on n’en finissait jamais
d’ergoter
de croire
de pleurer
insolence du futur
nom du devenir
pour qui l’innocence ?
exister est suave
le point aveugle de l’horizon
contraste des couleurs
degrés de chaleur
aveuglé par quelque chose qu’on ne voit pas
qu’on pourrait voir ?
peut-être
aveuglé par ce que la langue charrie
et qu’on pourrait appeler si l’on voulait
âme
pas de quelque chose d’autre qu’elle-même
tout court
âme
tout coule
tout ce qui nous pénètre passe à travers nous
et nous délaisse
laisse un peu moins mièvres
un peu plus fous
chaleur à en concevoir la fièvre
dans les anfractuosités de l’être
creusent les fables
parler pour le plaisir de parler
et puis se taire
attendre en forme d’invoquer
sortant de la cavité
qui à la flûte
à la lyre
au piano
la pensée
sa respiration
et chaque inspiration est une phrase
une invocation
vocalises sérielles
une note après une note
quelques sentences dans le champ érotique
semences augurales
est-ce qu’ensuite on tombe à genoux
effondrement
ou bien continue-t-on d’avancer
épuisement ?
qui se vide de sa substance
délivre une parole
où enter une science sans exemple
pur murmure
vrombissement
comme le vent qui s’engouffre
dans l’interstice
trop étroit pour lui
mugit toute la nuit et après le matin
savoirs antiques quand le vent fécondait les femelles
nos ancêtres
la terre était plus légère alors
un souffle
une voix
une exhalaison
rien de pesant
ici-bas devait se penser la tête en l’air
force du vent
tout pourrait être autrement
les pieds sur terre
la tête dans les nuages
alcool la nuit
sans nul dieu à qui dédier
les égoïstes libations
de nos peuplades onanistes
je chante la noyade des naïades
des ménades
le suicide collectif
canal historique
dans la rivière
ou dans le lac
corps noyés
sous le soleil qui les calcine
met le feu aux cheveux
eau bouillante
éclaboussé
nulle part où aller
c’est l’univers embrasé
impossible à embrasser
antiques croyances
quand on pensait
qu’à la fin il y aurait
un grand brasier
incendie
et qu’alors tout recommencerait
da capo
comme le chante la musique
que la fin sera le début
et que reviendront
les choses
les êtres
les nuages
l’orage
explosions
les morts et les vivants
les vivants et les morts
ne seront jamais qu’une seule
et même personne
da capo
quelques notes dans le champ chromatique
partition de l’univers
tant qu’on ne sait faire
la différence entre ce qui est grand
et petit — infiniment
je chante la noyade des naïades
ces corps nus
dans le ruisseau
piscine naturelle et au-dessus
un pont
je marche
mais je ne sais pas si je rêve
ou si c’est la réalité
corps nus dans le vide
partout à la surface de la terre
divinités débiles
qu’on entend à peine
respirer
nature rature
il y a tout un espace à parcourir
un chien aboie
et on presse le pas
cours plus vite
à en perdre haleine
avant de s’effondrer quelque part
dans les bras décharnés
d’une déesse droguée
antidépresseurs
regard vide
teint hâlé
morsures
brève histoire de notre humanité
je chante la noyade des naïades
qui peut se satisfaire de la vérité ?
les rites ont perdu le don de parler
même plus rien à inventer
un dimanche
dans un cimetière désert
sous un soleil dur
impeccable
paysage de la méditerranée
bleu vert ocre
je contemple une tombe
à laquelle je voudrais dire
quelque chose
à laquelle je voudrais
avoir à dire
quelque chose
mais à laquelle je ne trouve rien
que des banalités
dans ma mémoire
dans mon histoire
dans mon corps
la tombe est à l’ombre
d’un olivier
et moi
je cherche un geste qui me précède
un geste qui ait du sens
mais il n’y en a pas
un arrosoir à la main
j’abreuve une plante qui se trouve là
dans un pot laurier
le jardin des pierres
sous le regard excisé de la Méduse
continue de pousser
infinie croissance d’un peuple de déments
on n’en finit pas de piétiner
les cadavres
telle est notre raison d’être
notre raison de vivre
un vivant vient
et tous doivent mourir
la chaleur me brûle
dans le jardin des pierres
je ne suis pas un homme
je suis une rivière
et je ruisselle
me coule dans le devenir calcaire
de la terre
une pierre à la main
sans nul geste antique
primitif
à imiter
sans nul crâne à fracasser
l’histoire à ma place s’en étant chargé
à défaut de la chose en soi
je charge la chose en moi
oreille fétiche à qui me confier
dans le jardin des pierres
je devise dans l’assemblée des monstres
déclame échevelé
l’adieu aux membres inutiles
et savoure la portée du drame
il pleuvra le dernier jour de l’année
je le sais
nous viderons nos sacs
dissipant le brouillard
dans le ressac de phrases insensées
mots d’ordre inaudibles
à la pointe armée de notre avenir
feu les signaux incultes
feu les masses acharnées à l’espoir de continuer
les monstres ont le temps pour eux
qui contemplent impassibles
l’histoire à l’arrêt
j’ai chanté la noyade des naïades
la dissolution de mon corps
la dissolution de toutes choses
on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve
raconte-t-on encore qu’Héraclite disait
et c’est vrai
qui voudrait se couler
dans le moule informe de l’époque ?
j’ai trop chanté
quatre notes dans le champ hérétique
maintenant
laisse-moi exploser
désirer la métamorphose des flammes
destruction de la destruction
feu à volonté.