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Notes pour un communisme déjà existant

Notes pour un communisme déjà existant
Le texte à pirater.
Le zine à brûler.

Ce communisme en tant que naturalisme achevé = humanisme, en tant qu’humanisme achevé = naturalisme; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Il est l’énigme résolue de l’histoire et il se connaît comme cette solution.

— Karl Marx, Manuscrits économico-politiques de 1844.

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Notre communisme ne dénie pas la finitude : il s’en saisit comme habitacle de nos errances, odeur d’un crépuscule cherchant à retenir le jour, nuit sans mirages ou quelque festin païen.

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C’est un ancrage transindividuel, un mode d’être collectif, la souche de traditions profanes qui se transmettent par-delà toute commémoration d’État, tout appareillage mémoriel, cette mémoire asséchée des institutions et des livres d’Histoire.

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Par-delà le culte de l’Écrit, cette autolégitimation d’un pouvoir colonial qui glane sa survie en écrasant toute culture spécifique : idiomes, dialectes, lettres d’amour bourrées de fautes d’orthographe, etc.

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Par-delà l’Histoire, cette collection de faits structurés arbitrairement, selon le bon vouloir des puissants, de leurs intérêts pragmatiques, de leurs caprices.

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Par-delà le culte des corps réifiés, cette fossilisation des êtres que pratique le régime dominant de la représentation de soi, à grands coups de chirurgie plastique et de dénégation morbide.

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Par-delà également l’idéal de l’Homme majeur, éclairé, conduisant l’Humanité vers une improbable libération.

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Nous savons désormais que cette libération se confond toujours avec la représentation d’un monde-déjà-mort, ayant aboli le spécifique en tant que fait positif au nom d’un processus civilisateur génocidaire.

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Contre l’idée de Progrès, qui acte le développement infini des forces productives aliénées, au nom d’une espérance de libération à venir, nous affirmons la nécessité de nous réapproprier les notions de croissance et de sobriété, de les articuler autrement, en refusant les écueils petits-bourgeois du pragmatisme économique ou du fort naïf « retour à la terre ».

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Cette enfance du communisme, telle que nous l’entendons, est celle de ce vieillard infirme goûtant avec malice à la saveur sans cesse régénérée des saisons, au caractère miraculeux des renaissances, accueillant la vieillesse et la mort comme douces fatalités, en leur inexorable jardin, sur cette terre qui nous a précédés et nous survivra.

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C’est l’éblouissement originel de l’enfant devant les couleurs du jour.

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C’est l’insistance forcenée des saisons.

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C’est l’abondance surnaturelle, éclatante.

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C’est l’épuisement des cycles mécaniques de répétition et de remplissage : l’acceptation du vide.

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C’est l’amour inconditionnel et le désir sans objet.

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C’est l’inadéquation de soi à soi.

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C’est un écart générateur d’agencements fertiles, clandestins, périphériques.

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C’est un corps collectif tissé de tous les corps qui bravent l’irréalité du monde.

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C’est un corps complexe qui endigue la logique économique produisant l’individu en tant que capital de lui-même et manager de soi.

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C’est une réappropriation des espaces (matériels & immatériels) colonisés par le Capital & l’État, en leurs marchandages constitutifs d’un monde en sursis, ces producteurs effrénés de systèmes de valeurs marchandes & morales qui se (re)présentent à nous sous les traits d’une fausse éternité conquérante.

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Ce communisme de l’enfance n’est pas une régression, ou un reniement de la technique en soi : c’est une nouvelle intelligibilité matérielle, une adaptation lucide aux moyens que le Capital utilise pour nous abolir, une appropriation consciente et raisonnée des flux qui nous débordent. C’est un désarmement.

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Ainsi, nous inventons de nouveaux communs techniques.

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Ces derniers, de fait, s’inscrivent hors de l’opposition de l’Homme et de la Nature — division inaugurale de la modernité capitaliste — qui induit également l’opposition toujours bourgeoise, c’est-à-dire abstraite, de la Ville et de la Campagne.

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Il ne s’agit pas d’une simple distorsion de la réalité par l’idéologie bourgeoise, cette abstraction a la consistance ontologique d’un camion qui nous écrase : elle régit l’organisation matérielle de la vie, en divisant l’espace, en assignant au temps une fonction exclusivement productive, en massacrant les cultures spécifiques, en défigurant le visage de l’enfance.

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Nous n’avons plus le droit de nous complaire dans la représentation d’une Multitude sans ancrages qui s’affranchirait des antagonismes de classes — l’interclassisme masque et justifie le rôle prépondérant d’une avant-garde petite-bourgeoise au sein des mouvements révolutionnaires. Nous lui opposons une autre éthique et une autre subjectivité de combat.

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Notre point de vue ne peut être seulement celui des déshérités ou de la « classe ouvrière blanche », il est d’abord celui des sous-prolétaires du monde entier — qui, par définition, sont relégués hors des rapports légaux de production et d’échange, hors de toute reconnaissance institutionnelle, matérielle et symbolique.

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Nous œuvrons pour la constitution d’une classe en lutte, en tant que constellations de foyers insurrectionnels et de corps collectifs engagés lucidement sur le terrain de la lutte des classes, et capables de tisser, à partir des ramifications les plus souterraines des résistances les plus silencieuses et les plus humbles — une image de notre salut.

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Cette image n’est pas la représentation d’un Sujet révolutionnaire triomphant. Le sujet révolutionnaire ne saurait se subsumer sous une représentation homogène, et donc fausse, du mouvement révolutionnaire. Le sujet révolutionnaire n’est jamais déjà constitué — il se fabrique sans cesse en réseaux ouverts, solidaires, ancrés.

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C’est une Internationale sous-prolétarienne des luttes et des expériences concrètes de vies autonomes et contestataires.

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Car lutter, aujourd’hui, peut signifier simplement vivre.

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Quand la modernité capitaliste n’est que lumière retroussée, inversion systématique des valeurs émancipatrices, instrumentalisation de la Raison et des justes secousses qu’elle engendra dans l’Histoire souffreteuse d’Occident…

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…culte du rendement, institutions centralisées et bureaucratiques, barbarie policière, la modernité capitaliste a saccagé la lumière de l’enfance, colonisé ses territoires, abruti sa sensibilité, balisé ses audaces.

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C’est au nom de l’éternelle enfance — invincible soleil qui ensauvage nos joies, apaise nos angoisses — que nous luttons.

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Habiter collectivement cette terre, la cultiver dans le respect de ses lois autonomes, y aménager des espaces de vie et de partage, ne jamais la cloisonner, résister aux sirènes de la Propriété comme aux tentations du Savoir…

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…se réapproprier la technique, qu’elle soit artisanale ou machinique, ancestrale ou numérique, refuser de choisir entre les forces de l’esprit et celles de l’univers, libérer les puissances qui se logent en nous, en utilisant tous les moyens dont nous disposons, matériellement et poétiquement…

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…voici ce qu’il y a d’impérissable dans notre conception du communisme.

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C’est un usage du monde qui n’est pas inféodé au culte de la valeur.

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Ce dernier s’appuie sur un enrichissement continu de notre pratique théorique : de la critique interne à la modernité, allant de Spinoza à Marx, aux déconstructions épistémologiques initiées par les mouvements décoloniaux et les mouvements en lutte contre les oppressions spécifiques — dont nous pensons qu’elles peuvent soutenir le projet originaire des modernes, tout en dépoussiérant ses abstractions, ses angles morts, en spécifiant ses objets, en éclatant son cadre et en repensant son sujet.

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Notre communisme déjà existant s’appuie conjointement sur un partage perpétuel de nos expériences de lutte, une mise en commun de nos pratiques, la déterritorialisation des espaces dédiés à la connaissance, à la pensée et au langage.

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Ce communisme déjà existant agit également comme sauvegarde de nos excédents culturels non assimilables par l’Histoire des vainqueurs.

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Il ne se constitue donc pas comme bloc théorique achevé et invariant.

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Il est ouvert à la contradiction, à la confrontation, à la différence.

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Il n’est pas une morale.

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Il n’est pas même un programme.

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Il trace un sillon dans le brouillard de l’époque.

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C’est une invitation.