ERR0R

Ligne d’ombre

Ligne d'ombre
Le texte à pirater.
Le zine à brûler.

Ici se lit la poursuite d’un entretien ouvert sur la critique littéraire, sur ses puissances et ses impuissances, elle a tenté de trouver — après celle de l’amitié dans Stase-Seconde, celle de l’idiotie dans À te souvenir de l’insomnie des mondes, celle du rêve dans Le Tiers essai — des traductions, des horizons et des retours à notre perplexité.

accord, un retour

Miroir Face A

Écrire c’est revenir.

Et p.b.2 revient.

Fait de la revenance, du retour même un motif complexe, un programme littéraire et métalittéraire.

Retour dans le temps.

Retour dans l’espace.

Retour dans l’écriture.

Avec Popeye par les pieds, p.b.2 semble littéralement revenir sur son livre précédent d’auto-science-fiction Popeye de Chypre, récit de l’enterrement de sa mère morte en 2013 au Mans elle qui rêvait d’être enterrée dans une Algérie fantasmatique, celle d’avant 1962. Retour impossible qui force au détour. Chypre 1979. Autre temps, autre souvenir.

Critiquer, alors, ce serait revenir sur la possibilité de retour.

Et quand l’auteur revient lui-même sur son précédent texte, dans son texte, se fait critique de lui-même, auteur au miroir, et nous-mêmes alors critiques de la critique critique, nous devenons, dans un jeu de miroir, non pas la répétition vertigineuse à l’infini, mais l’aventure à travers le texte, Through the Looking Glass, Alice(s) démultipliées et hybridées.

Popeye par les pieds est donc un retour critique, commentaire, repentir comme disent les peintres, faisant de la revenance, du retour même un motif complexe, un programme littéraire et métalittéraire. Mais comment commenter ce commentaire, échapper aux évidences et attendus de la critique ? Comment parler d’un livre sans revenir sur les pas de l’auteur ?

Trouver autre chose, projeter d’autres images.

Rejouer les paradoxes apparents. Disparaissant. On aime l’idée que, lors de la conférence qui deviendra l’objet Popeye par les pieds, l’auteur projette des images aléatoires, des vérifications de son vécu seulement quand elles passent par un récapitulatif spéculaire.

Une pensée pour Sebald. Une pensée aussi pour l’autobiographie : l’un de ses buts ne serait-il pas que le lecteur écrive sa propre autobiographie ? S’invente sa théorie à chaque fois. Inventer la littérature à chaque fois que l’on écrit.

On voudrait une logique concentrique, à toi lectrice & lecteur d’inventer la critique de cette critique critique. Toujours par dérivatif, pour documenter l’absence du sujet.

Écrire c’est revenir.

Revenir : retour réflexif. Comment faire la critique d’un genre dont l’essentiel est retour réflexif, portant sa part de critique, pointant lui-même ses insuffisances. Plus que n’importe quel genre de texte, critiquer un exercice autobiographique revient à valider une expérience, en valoriser une perception. En creux, on pourrait penser que faire œuvre de critique consisterait d’abord à situer sa propre parole. Revenir, comme le fait rieusement p.b.2, sur les dispositifs qui la construisent. On peut penser que nous parlons d’ailleurs, que nous cherchons dans cette parole duelle, un écart au déterminisme du contexte. Dériver alors du texte : revenir sur ses possibilités de bifurcation, à nous d’inventer, théoriser (en son sens le plus stellaire, un rapprochement de points qui dessine un motif qui dépend beaucoup de la perception : étoilement), un genre à soi. Temps à notre tour d’opérer un retour. Ni toi ni moi : on veut parler de cet autre en Soi, de cet autre impensé qu’invente toujours la lecture, de celui que Toi aussi tu peux reconnaître. On l’a dit. On revient toujours à l’anamorphose, traits concentriques, spiralaires, pour cerner cette absence de sujet. On en reprend l’absence, on en négocie la mort. On commente pour ne pas laisser au silence cette part essentielle, indicible ou ineffable dont on est surpris d’en voir partout une traduction dans nos lectures. Critique, toujours témoigner du pas que l’on n’a pas su faire, des frontières dont le franchissement revient.

Ce qui revient avec ce livre, c’est le plaisir d’aller à l’encontre des évidences trompeuses de notre rapport au temps, de défaire une littérature d’autofiction, de destituer le sujet par l’invention, de reprendre l’ivresse spéculative qui n’est pas délire, mais résistance et remise en cause de nombreux partages trompeurs : social / esthétique, autofiction bourgeoise / documentaire transclasse, science-fiction / littérature, spéculation / expérience, universel / singulier, passé / futur, possible / impossible, etc.

Foin de dichotomies et que vivent les glitchs. Écrire, susciter des passages secrets. Des portes dérobées auxquelles on ne croit pas tout à fait. Une indéniable distance au sujet par un jeu sur le burlesque. L’essai serait une fiction : on aime l’idée de cette conférence ultime voyage dans le temps. Une des questions centrales de Popeye de Chypre est comment parler aux autres, dans la vraie vie, celle dite réelle ? Mal, sans doute quand ce n’est pas par une spéculation, comprendre un miroir déformant.

C’est sur ces mouvements que ce livre revient dans ce qui n’est pas un commentaire, mais quelque chose d’une revenance, d’une spectrologie.

Sans doute par une sorte de vacance à soi. L’auto-science fiction pratiquée par l’auteur part de ce paradoxe : un voyageur dans le temps ne peut rien changer. Ça ne sert à rien, c’est inévitable. C’est ainsi que p.b.2 dessine un autre rapport au sujet. Le narrateur n’est pas transparent, il est spectral, miné et minable, traversé d’influences, enfin sans pouvoir.

Parce qu’écrire, décidément, c’est revenir.

Revenir parce qu’il y a quelque chose d’incessamment inadvenu, d’ouvert, par lequel l’écriture arrive, revient.

Parce que le temps est ouvert.

Perdu et retrouvé en même temps, on le sait, les madeleines nous le murmurent.

Écrire c’est revenir

Dans tous les sens.

C’est revenir hanter son futur, inventer son passé, transcender son présent.

Écrire c’est revenir.

Écrire c’est revenir aussi à la manière du « Regard d’Orphée » sur Eurydice pour cet « Orpheus McFly ». Écrire devant perdre ce qui est évoqué pour le porter à l’écriture, le rendre vivant dans sa mort présente.

Alors écrire ce serait perdre, et revenir sur cette perte impossible. Pourtant rien que de très jouissif et lumineux dans ce texte de p.b.2, travail à partir d’un lapsus oculaire (Popeye / Pop-eye : yeux exorbités), à partir des images qui nous échappent et nous fascinent. Peut-être est-ce l’occasion de dire que toute mélancolie n’est pas triste. Qu’elle est plutôt la prise en considération de l’impossible, de la nécessité de l’impossible, de sa puissance (bien qu’il puisse, comme la mélancolie, être source d’impuissance). De ce qui reste. De l’indestructible en même temps que de l’irrémédiable. p.b.2 ne se résout pas à la perte. Comme sa mère avec l’Algérie. Alors il l’enterre ailleurs. En ailleurs. Là où elle pourra revenir. Dans les souvenirs, dans l’écriture, dans les lieux.

La mélancolie comme alternative, un retour, sans nostalgie, vers un pays perdu pour que l’on se trouve contraint, par superposition (passage entre le cut-up et le mash-up) de s’inventer le climat du sien propre. L’ineffable mélancolie du souvenir : le laisser échapper, le froisser et, trop tard, en entendre le frêle bruit. Mélancolie sans nostalgie, saturée du désir de corriger ce qui sera, par essence, mal perçu. Documentaire sans sujet. Revenir en cercles concentriques — un des motifs discrets de Popeye de Chypre — sur l’image qui par collage et amalgame finit par faire sens. Des strates : un voyage dans le temps par des tableaux et des poèmes, puis par des images et des commentaires spéculatifs. Au milieu, pur medium, l’écriture.

*

L’espace-temps n’existe pas. Voilà l’incroyable leçon de ce livre. L’éblouissante leçon qui n’est pas une provocation, mais la lumière brute du réel. L’espace-temps n’existe pas.

Pas seulement, en tout cas.

Peut-être faut-il le déplier (juste avant la corbeille) — exister un instant dans la sidération de l’image, l’œil exorbité par la panique. Il ne s’agit plus de valoriser la vision du poète. Plutôt ce qu’il a mal vu, qui peut-être existe car cela ne correspond pas à sa vision initiale. L’impossible réel.

Nous sommes des créatures extratemporelles : un être cher disparaît et c’est l’ensemble de l’espace-temps qui est modifié. Ce n’est pas là de la SF, mais la réalité psychique telle qu’on la vit dans les pertes traumatiques comme dans les rêves (et les cauchemars) : le passé, le présent et le futur se chevauchent, s’altèrent, se combinent. Et le temps de l’écriture est aussi sûrement de cette même nature, que celle de la disparition, que celle des rêves et des états de transe où le temps reprend un aspect unitaire où les distinctions n’ont plus de sens.

Cependant, voir la difficulté du retour dans Popeye de Chypre. La littérature c’est peut-être l’histoire d’une acclimatation ratée, toujours recommencée.

Le réel est alors dédoublé. Si le réel d’un espace-temps relativiste, suivant une chronologie existe toujours, il existe aussi, de manière tout aussi réelle, un double objectif, celui de l’esprit créant un espace et un temps alternatifs où l’Algérie pré-1962 peut communiquer avec le Chypre de 1979.

Une question de zone frontière. La perception comme abolition des frontières. Perméables un instant : voir. Un endroit où un passage serait possible.

Ce passage aux frontières, il est significatif qu’il se fasse au moment de la mort. Dans l’arrêt de mort dans la fiction, dans cet état en réalité jamais déterminé d’absence (qu’on se souvienne de l’impossible mort d’Albertine dans le souvenir du narrateur de La Recherche). La mort est ce creusement de la fiction et du sujet — et sûrement l’exposition aussi de la fiction du sujet — où s’installe la possibilité de voir la porosité du possible et de l’impossible, du passé et du présent. Il y a comme une « connaissance située » de ce « conte théorique » dans ce flottement des catégories liées à la mort. Mais, p.b.2 montre que la situation existe dans la coupure, retour & perte. Orphée chez lui vole, en voiture, mais ne saurait vivre. Qui veut-on vraiment enterrer : « Tu es devenu un spécialiste de la coupe. Tu aimes te couper des autres. Des mille embranchements qui te relient aux autres. Tu te dis que la taille promeut la repousse. Tu voudrais aussi te débarrasser de toi. » Autobiographie, cénotaphe circulaire pour montrer le vide radical de l’endroit d’où l’on part, où l’on arrive. La description, surtout quand comme dans Popeye par les pieds, elle est retour réflexif, doit être une échappatoire. Un ailleurs, l’imaginaire défaillance des images.

Miroir Face B

Brisures, sutures

On aime l’idée : on en revient toujours à l’anamorphose pour échapper aux évidences et aux attendus — alors à nous d’inventer, de théoriser1 — autres ciels, autres temps — la critique de la critique qui deviendra possibilité de bifurcation. Rétro-auto-science-fiction de Popeye de Chypre, Popeye par les pieds2 demande littéralement de revenir sur le réflexif.

Or on aime l’idée de revenir sur le réflexif.

Critique de la critique critique.

*

Comment faire de la critique une lecture-silence, cette part essentielle, indicible ou d’autres images ? Rejouer les paradoxes apparents, le plus stellaire, critique-constellation : un étoilement de perspectives.

Parler d’un ni toi ni moi : d’un inconnu commun3. On veut penser que nous parlons d’ailleurs, que la lecture est l’occasion d’opérer un retour. De faire apparaître l’absence du sujet.

*

Revenir, pour Sebald. Pas pour Sebald lui-même. Pour la pensée. Pour le geste spéculaire. Une pensée aussi que nous cherchons dans cette parole duelle que porte la critique et dont on est surpris d’en faire le sujet de qui n’a plus d’objet. On en reprend l’absence, l’expérience, pour en valoriser ce qui est une perception. Valoriser une perception. L’autobiographie d’une perception. D’une lecture. La différance d’une lecture. Écrire c’est revenir4. Écrire c’est revenir. Dériver alors du texte : revenir écrit sa propre autobiographie.

*

On voudrait écrire la critique de Popeye par les pieds comme le retour des dispositifs5 qui le construisent. On négocie la mort de l’auteur. Le « On » de l’auteur-lecteur-auteur (complexe critique) écrit : on trouve autre chose, on projette des cercles concentriques, spiralaires, pour cerner cette absence de la lecture. Cette absence de l’autre, du corps de la mère auquel on revient. La critique serait alors toujours de témoigner de cet autre en Soi, de ce creux, de ce passé à venir et on pourrait penser que cet autre impensé invente toujours l’écriture, dans une logique concentrique, et un genre à soi.

*

Pour documenter ses insuffisances, écrire. Dans les failles de ce que l’on sait. Nous aussi. N’importe le temps. Retour dans l’espace. Écrire c’est revenir. Programme littéraire et métalittéraire. Un récapitulatif spéculaire. Une pensée fantasmatique. Retour impossible et qui revient pourtant, sans cesse. Fait de la revenance, de ce qui force au détour, au commentaire, au repentir à la manière du peintre, mais fait critique. Comment commenter ce que tu peux reconnaître ? On ne doit parler que de l’inconnu, on l’a dit.

*

L’écriture est spectrale, minée et minable, traversée par les autres, la vraie vie, faite d’influences et sans pouvoir. Cela p.b.2 l’a bien compris. Parce qu’écrire est l’ultime voyage dans le temps. Revenance et spectrologie. Discours sur le spectral. Sans doute cela permet-il de perdre la bourgeoisie documentaire transclasse qui lit la littérature comme de la science-fiction, autre chose que la vie. Ce qu’elle est, réellement, mais autrement6. Dans la littérature il y a quelque chose d’incessamment inadvenu, remettant en cause de nombreux partages dans le temps et l’espace qui murmure. Écrire c’est revenir.

*

Destituer le sujet par l’auto-science-fiction. L’auteur part de Chypre et va voir comment on parle de ce qui revient et ne revient pas, dans ce qui ne peut pas, décidément, revenir. Décidément, c’est revenir. Revenir sur ces mouvements trompeurs : le social et l’esthétique, l’autofiction burlesque. L’essai serait une fiction — littérature, spéculation, expérience. Universelle spéculation : comprendre est un miroir déformant. Et vivent les glitchs.

*

Écrire, délire, dé-lire, délier, relier. Le narrateur n’est pas transparent, il est changé. Une indéniable distance se fait par l’invention, atteinte par l’ivresse de l’écriture qui est une sorte de vacance à soi. Perdu et retrouvé en même temps se dessine un autre rapport au sujet, au futur, au passé. Et transcender le commentaire. Quelque chose de singulier.

*

Écrire devant des évidences trompeuses de notre lecture. Évidences auxquelles on ne croit pas, qu’il faut rendre ouvertes. L’écriture arrive, revient. Le Temps est ouvert. Passé, présent. Écrire c’est inévitable. Écrire c’est dédire l’inévitable et le faire advenir. Autrement C’est ainsi que p.b.2 le fait. Dans tous les sens. Revenir, depuis l’impossible du temps.

*

Popeye de Chypre ou le réel. La nostalgie est impossible. On corrige alors la mélancolie. Sous un œil exorbité, on en donne des visions, des strates et des tableaux comme autant d’approches. Des images de substitution, ce qui revient.

Chypre. L’indestructible vacance d’une zone tampon. Superposition d’instants qui ne se confondent pas entièrement. Le voyage, l’explication de ce voyage, la mélancolie des images qui en dévient, en reviennent.

Ce qu’il faut préserver. Le frêle bruit de l’instant juste avant la perte. p.b.2 nous en propose plusieurs variations. De numériques superpositions. D’un auteur revient la fausse évidence de son esthétique. Le sens qu’il faudrait déplier au moment de le jeter dans la corbeille, la possibilité — par traduction automatique — d’écrire sans contexte. Alors mettre en scène cette parole réflexive sur cette imitation qu’est souvent la critique7.

Lapsus oculaire où l’amalgame du fond et de la forme. Le miroir et l’absent, mélancolique, qui s’y miroite. L’ineffable mélancolie du souvenir qui fait le sens, c’est la vision vue dans la panique. Sorte de voyage entre différentes strates d’images. Critiquer, refaire le voyage autrement ; recoller au hasard les images rêvées à la lecture du rêve.

Revenir en cercles concentriques8 sur l’image qui, par ailleurs, nous guide vers là où elle pourra revenir : le souvenir, et la perte. L’ailleurs de l’anamorphose. Désir lumineux de ce qui enfin aura un lieu. Un froissement de paupière, une vision. Miroiter, repousser, rendre possible un enterrement. Le souvenir et la perte. Une séparation en silence. L’Algérie par ce que l’on ne saurait en dire ou comment documenter l’absence sans virtualité. Aujourd’hui, maman est morte ou peut-être était-ce hier. Les formules reviennent. Mélancolie irrémédiable. Accouchement au forceps : dans la disparition des images, dans leur perpétuel collage, se dessine un cénotaphe pour sa mère. Popeye est né ; mélancolie, plus personne ne l’appelle Patrice. Des commentaires spéculatifs. Toujours.

*

L’espace-temps n’existe pas. Ce qui revient serait l’absence de sujet. Les formes sans singularité qu’il faut donner à leur imagée disparition. Rêves et cauchemars, ultimes réalités psychiques des créatures extratemporelles que nous prétendons être. Le sujet ? Un temps alternatif. La critique ? l’écoute des futurs qui se chevauchent. Avant la corbeille, en déplier le sens, en déployer les promesses. Chypre 1979, un instant tampon, communication de la lumière brute du réel.

Dédoublement pour dessiner des zones frontières. Nous sommes ce qui est modifié. Ce qui retient et revient d’un passage, des frontières perméables. Espace-temps perçu dans ses troublements, dans les interférences dans les correspondances. On ne choisit pas l’endroit où va échouer le voyage dans le temps. Approximation, acclimatation : on ne saurait s’installer dans l’instant, dans l’illusion de sa linéarité. Le temps est un collage, une saturation des sujets séparés qui n’ont pas su l’habiter, qui alors le laisse revenir, devenir, s’altérer.

*

Si on attend la repousse, quand et comment couper. Ça repousse. Revenir sur une histoire, s’en séparer, lui inventer d’autres liens : ce qu’on lit, ce qui nous lie. Par la taille, comprendre (souvent trop tard, spectres que nous sommes), ce qui nous relie aux autres. La connaissance située, peut-être, mais pour lui inventer d’autres embranchements. Un endroit d’où partir, peut-être est-ce cela l’invention du sujet. Celle de la critique serait de continuer à spéculer, siempre, sur ces transitoires spéculations. On est lié, indéfectiblement, par tout ce qui nous sépare.

Conversation d’une harmonie désaccordée

Chercher à inventer une forme nouvelle pour la pensée. N’est-ce pas ce tout ce que nous avons fait jusque-là ? C’est pourquoi je t’ai proposé ce livre qui pose précisément cette question. Parce que m.s., dans les lettres échangées entre Boèce et Dagerman dans Le Monde des amants et L’Éternel retour, ne dit pas moins que ça : qu’il en va de la biographie pour lui comme de la critique pour nous : d’être capable de penser, de penser et de vivre, à tel point qu’écrire la biographie de f.n. revient, pour lui, pour Boèce, pour nous, pour toute personne lisant f.n., revient à vivre cette vie, rien de moins. Reprise, en dissonance, d’un paradoxe qu’écrire c’est revenir. Folie, aussi, bien sûr, folie d’écrire sur les autres non pas en les faisant revenir (hantologie) mais en les devenant à notre tour, en nous engageant dans leur devenir, vertige auquel le texte nous engage sans cesse dans son style fait d’incessantes reprises, de développement et de reprises, qui, dans leur processus mettent à nu rien de moins que la pensée, dans une exigence de singularité qui soit toujours à la limite excès, pensée et vertige — au point où se formule le « pas au-delà ». Mais alors cette singularité, cette singularité par l’écriture, ce devenir par l’écriture, il faut l’imaginer paradoxalement comme ce qui fait défaut, comme le défaut même. Elle est singularité non parce que préoccupée d’un centre (ce centre qui ne cesse de se déplacer — f.n., f.k., m.l.2, u.j., l.a.s., l.t.2, g.b., mais singularité en se faisant exigence d’altération, exigence de dépossession en guise de vérité. Ce qui revient serait mis à l’essai de cette impossible singularité. C’est peut-être la double postulation à laquelle s’affronte quiconque lit — et lit ce livre singulièrement — que la pensée est toujours impropre, que le sujet même fait une bien piètre illusion, illusion démoniaque disait-on avant, avant f.n. peut-être, et pourtant toujours encore, préoccupés par les mouvements d’ombre et de grammaire qui font de « la mort de Dieu » une pensée si vivante, et du sujet une illusion si tenace. Qu’est-ce qui nous ferait croire une chose pareille, que la pensée n’est pas toujours l’autre, ne vient pas toujours d’ailleurs ? La pensée est toujours déjà hantée, est toujours déjà impersonnelle, façonnée par des codes, des langages qui n’appartiennent pas seulement à d’autres, à d’autres auteurs, mais qui n’appartiennent à personne, voix des morts mâchée par les vivants, signes où le sujet devrait reconnaître cette radicale et essentielle impersonnalité. Comme s’il fallait pour tenir ce discours en revenir à cette première phrase, celle du Monde des amants comme celle de L’Éternel retour, cette phrase qui revient et qui promet, et qui pour moi ne cesse d’être ce genre d’énigme et de folie, entre la sainteté et l’idiotie : « Je cherche à penser, dis-je à Dagerman, je cherche à penser que penser peut décider de tout. » Grotesque simultanément. Ce qui revient a dû se produire : de la pensée. Qu’est-ce à dire, comment ça s’écrit ? Nous la critiquons, la mettons à l’essai, songeuse spéculation, nous interrogeons — comme fiction de ce que nous serons, de ce qu’en commun nous devenons par cette conversation — ce qui revient, en examinons la teneur, peut-être même nous distancions-nous, en spirale de ce qui revient, de ce que l’on pourrait prendre pour nous-mêmes. Et pourtant disant cela, ne reviens-tu pas toi-même à tes obsessions, à ce qui se joue, pour toi, dans la critique, d’une puissance de désidentification ? Or renoncer au Moi et à son illusion substantielle, n’est-elle pas déjà la démarche de Nietzsche ? N’est-elle pas la démarche folle de Boèce voulant écrire « l’autobiographie de Nietzsche », en première personne plutôt qu’en biographe distinct de son sujet, déclarant « je suis moi-même cette fiction que j’ai écrite, fiction devenue elle-même biographique, il me faut maintenant être ce que j’ai écrit à ce point ». Flottement des obsessions miennes — sans doute — retour. Oui, toujours, comme si l’écriture était ce piège fait de miroirs, et nous, de pauvres alouettes. Hantise et revenance ? « Tout semble sauvé, et l’on est seul en fait à l’être. Et on est le seul à l’être. Et on est seul à l’être tout le temps que dure ce miracle dure. Pire : on veut que dure ce miracle qui fait qu’on est seul. » Ce qui revient serait-ce la matérialité du livre ? Sa langue. Le Monde des amants tiendrait-il par ces dispositifs de distanciation ? Un vertige — et peut-être ne s’approche-t-on de la pensée de f.n. que lorsque l’on ne sait plus qui parle, qui se souvient, qui rapporte, cite, mime peut-être une pensée qui ne lui appartient pas. Brouillage comme le point d’incandescence des instances narratives, de Singularité mathématique, là où le roman existe : quand il perd sa forme romanesque, sa forme critique, quand il nous perd. C’est vrai, c’est ce qu’il y a de plus beau et de plus fou — que Boèce, Dagerman, Nietzsche, m.s., dans un désordre, échangent leurs voix. Que le il glisse dans un tu, qu’un je soit un autre, que les adresses se multiplient, se mêlent à l’horizon où le ciel et la mer se confondent dans la ligne d’ombre de l’écriture. Reviennent les réticences où soudain, on rêverait ce que l’on croit savoir. Main négative de l’écriture, critique. Alors, critique par ellipses, par diplomatie. Passer sous silence ce qui, dans une lecture illusoire de se croire personnelle, nous aurait manqué : la vie matérielle de f.n. Banalité du quotidien, le silence de la pensée qui se fait, l’à côté de l’anecdotique trop connu de « la » vie (singulière quand m.s. parvient à écrire « des » vies) de f.n. À notre tour, inventons-nous des vies, la pluralité des regards. C’est ainsi que nous avons lu de nos quatre yeux. J’ai lu les marges du livre et tu y as lu le corps du texte. Du rapport à f.n., je n’ai rien lu — je n’ai rien attendu. Comment cela pouvait-il en être autrement ? Nous ne sommes pas entièrement capables de parler (moins encore d’exister) d’une seule voix. On tait les désaccords, on s’en dépossède pour ne plus s’y reconnaître, pour essayer l’altération de la pensée. On parle de ce qui éloigne, ce qui nous sort du livre. D’except, dit-il. Tout ce qui, dans la parole, ferait exception. Dédire le dit disait-on avec e.l.. Un except donc dont m.s. nous aide à rêver l’aspect de trahison nécessaire à toute révélation. On rêve de la contradiction qui reviendrait, mimer, trahir, révéler, chacune des sentences ici assénées. Ce n’est que cela qui revient dans la critique et non pas la jauge de ce qui serait réussi ou raté, de ce que platement on aurait voulu lire. Le synonyme de la force de devenir dont est porteur le livre de m.s. s’appellerait écriture. C’est cet appel, cette trahison, ce doute profond, dont rêve notre part commune de critique. Devines-en, lectrice & lecteur, les interstices, viens t’y noyer : il en reviendra d’intranquilles incertitudes, d’autres vies dont m.s. fait des vies antérieures, mémoires oblitérées, romancées de ce qui a été, révolte et inquiétude aussi. Nous sommes allés si loin ensemble à travers les textes que nous abordons maintenant la haute mer et la tempête : comment être en désaccord sans cesser de se parler ? La critique déploie alors cette œuvre nouvelle qui semble aujourd’hui plus que jamais devoir s’étendre au-delà de la seule amitié. Qui demande une mutation de la conception de l’amitié où l’on fait fond commun d’une étrangeté au monde. Amitié encore, encore plus que diplomatie, car gardant cette fragilité, cette capacité de se projeter sans cesse à la place de l’autre pour comprendre quelque chose de l’harmonie d’un désaccord. D’une diplomatie interstitielle alors. On y essaierait la définition d’une idéale lecture : l’endroit et moment où le désaccord de soi à soi se manifeste, trouve une forme, s’exprime en altération. Sujet essentiel du Monde des amants. Revient alors cette affirmation : l’écriture est devenue intransitive, la critique reviendrait à lui inventer, à lui substituer, différents prédicats. À qui parle-t-on quand on écrit ? Avant tout à soi-même semble suggérer m.s. Avant l’intromission de la fiction, avant, pour la critique de la critique, la radicale remise en cause de l’auctorialité. On écrirait alors pour l’absence en soi. Critiquer serait peut-être en cerner les différents visages. Critiquer, serait-ce interroger le silence entre deux livres, les interstices où se construisent, dans un silence dont il ne reste que douteuses interprétations. La saturation de silences de toute conversation. La musique des désaccords exceptés. m.s. en donne une image parfaite, dédoublée : il imagine ce qu’auraient pu se dire g.b. et w.b., à Ibiza. Il n’en reste rien, magnifique vide. La critique serait de lire les livres qui n’ont pas été encore écrits. Peut-être n’est-ce que cela qui a été écrit. Alors la critique est cette fiction, cette vérité, cet excès, qu’elle est cet except, puissance qui revient à l’écriture par la critique, d’un retour qui met en jeu l’inéluctable, c’est-à-dire la question : est-il seulement possible de revenir ? D’en revenir. De l’écriture et de la vie. Question de hantise, toujours, de « l’irréméable » pour désigner ce qui ne peut plus faire retour. Et qui pourtant revient. Est-il possible de revenir pour toi, qui es revenu (de g.b., de f.n., du tragique de la pensée) ? Est-il possible de revenir — de réfléchir, d’accomplir un pas au-delà, de se distinguer ? N’est-ce pas cela la question qui devrait inquiéter la personne qui se met à faire de la critique ? Livre des questions qui nous interroge dans ces livres, dans notre vérité changeante faite de notre confusion ? Vérité dramatique (peut-être), pathétique (assurément), romantique par moment, dans cette vérité romanesque qui veut que le roman soit tout, soit toi en tout cas, que le sujet et son objet existent sur le même plan et se confondent, le faisant et ne le pouvant pas, de même que l’amour et la révolution, le biographe et le sujet de sa biographie — se confiant pourtant à cet impossible comme à la révolution, à l’amour. Peut-être lisons-nous surtout, malgré tout, des désaccords. L’ombre portée de l’incompréhension jamais ne se ressemble. L’amour et révolution comme incompréhensibles, détachés de toute contingence, ne deviennent-ils pas concept dangereux ? Reste, et c’est ce que nous mettons à l’essai, plutôt que l’inéluctable (idiot que je suis, pratiquement aucune idée de ce que c’est), l’invention des instants. Revenance de l’éternisation de la momentanéité selon la formule d’Unamuno citée par m.s. Ainsi dans ce livre qui revient sur le livre, rien ne revient et rien ne se répète. Vérité qui nous dit que rien ne revient quand bien même tout se répète. Mer, mer. Et je comprends ce qui te retient : que l’on s’invente dans l’écart de soi à soi-même, comme dans l’écart du texte à sa critique où toutes les puissances nocturnes du possible brillent de mille feux. De mille mers. La vague nous submerge, nous porte vers un ailleurs qui, peut-être, diffère par sa dérangeante part de retour. La part passionnée de la lecture reste celle où soudain malgré soi se devine un désaccord, une désunion avec ce que l’on pensait penser. Penser par ailleurs, par divergence plutôt que par opposition ou par discorde. Comme si le texte par sa résistance créait l’étoilement d’autres textes, nous conduisait nous-mêmes, et lui-même avec, à des métamorphoses. Mettre à mort toutes les postures, mythe nietzschéen pour détruire les mythes : messianisme, le mot radicalement dérange. Le dialogue du Monde des amants, un pas au-delà de soi, de la concrète matérialité de ce que l’on croit comprendre. m.s. donne voix à l’impossible. Peut-être n’est-ce que cela qui revient. Selon f.k., dans une sentence d’un délicieux contre-hermétisme, le messie viendra le jour d’après. Peut-être est-ce ceci l’irrémédiable. Peut-être est-ce là aussi l’impensable. Que la littérature soit l’absolu. Qu’elle soit donc après Dieu, non pas le faux espoir d’une consolation, mais la vérité de l’inconsolable : « parce qu’il faut, pour que la consolation existe, que tout, absolument tout puisse être consolé, n’est-ce pas ? » Nous qui voudrions être extérieurs à la littérature, nous nous voyons ramenés à cette athéologie de la littérature : « parce qu’il faut, puisque le roman existe, que tout, absolument tout, puisse être représenté, et par le roman. Tout, pour que tout puisse être consolé, et par lui […] et c’est ce qu’il faut que fasse la littérature, si Dieu ne le fait plus. » Mais cette conversion littéraire qui nous est demandée, est aussi, et au même moment, aussitôt, une impossibilité, une impossibilité sur laquelle le texte ne cesse de faire retour : impossible représentation, impossible description, impossible roman, impossible « hétérobiographie », impossible révolution, et bien sûr impossible salut. Voilà ce dont s’occupe le texte à travers les vies dont il hante les pensées (« roman de pensée », dit-il). Décept, dit-il à un moment. Le mystère n’est que cela, « l’expérience de la pensée », l’expérience réelle de la pensée. « Mais personne pour s’en tenir à cette hypothèse qu’il arrive de bien plus grandes choses en pensée, dans la pensée, par la pensée, bien plus d’événements, dont tout ce qui mérite d’être dit dépendrait — dépend. » Et de l’expérience de l’amour comme expérience de la pensée. De l’expérience de l’amour et de la révolution comme expérience décisive de la pensée au siècle dernier. Un siècle auquel on a appartenu, et dont les révolutions au cœur de l’expérience intellectuelle n’ont cessé d’être manquées et de devenir notre kitsch — écart de soi à soi quand sentimentalité, idéalité nous deviennent étrangères. À l’instar de m.s., la critique opère un dialogue avec celui que l’on ne peut plus être, celui que l’on ne reconnaît plus que dans un rêve et qu’ici nous transmuons en fiction, en unité, un dialogue amical où, avec l’éloignement, le temps, se lisent des dissensions, reviennent ce que l’on n’avait pas compris. Oserait-on comme une sorte de trahison révolutionnaire ? Les mots parfois semblent trop grands, ils attendent que nous revenions, rarement, à leur hauteur. Épiphanie, disait-on au vieux vingtième siècle. Comme une question : Le Monde des amants évoque sans cesse la révolution. On est dérangé, dans un premier temps (avant donc cette mise en dialogue avec soi pour véritablement l’être ensuite avec l’ami), par le singulier de cette révolution. Penser, idiotement, que chaque révolution fait l’épreuve de son défaut de forme singulière, se différencie au moins par les souterrains fantômes qui font revenir la mémoire des luttes. Comme une intranquille mauvaise conscience, une révolte, revient cette question : qu’est-ce à dire, une critique révolutionnaire ? Une lutte, a minima, contre sa circularité : la critique fait revenir ce qui a déjà été dit. Elle contraint à revenir à cette obsédante question d’un éternel retour : comment parler d’un livre pourrait composer pour en faire tout revenir, qui est-on pour en faire revenir une partie, en pointer les détails désaccordés ? Parce que, peut-être, parler d’une œuvre, au mieux, serait la poursuivre, en saisir les révélations l’instant d’après. Peut-être est-ce le sens du roman biographique sur f.n. entrepris par m.s., une suite de strates, une confusion d’instances narratives, de citations, la mise en dialogue, en contestation, de ce qui revient de f.n., du reste, du tout. Et la révolution, déjà toujours à faire, à trahir ? C’est à ce genre de tragique que nous amène cette pensée. Non pas à la résignation mais à l’acceptation de la totalité de l’expérience que constitue la pensée et « que la politique est toujours une malédiction et n’est que malédiction. Exactement comme le sexe est une malédiction et n’est qu’une malédiction. Exactement comme la mort est une malédiction »  : malédiction, c’est-à-dire ce qui se dit mal, ce dont la part maudite tient en ce défaut de la parole et qui fait, peut-être, de la littérature ce qui tente, à nouveau dans un langage athéologique, de « relever » dit m.s. De sauver le sachant perdu. « Il n’y a pas de politique, a fortiori, de politique révolutionnaire, que grotesque ou maudite pour finir. » Se perdre à critiquer, à penser, une aspiration, un idéal, auxquels on ne saurait se soustraire. m.s. parvient à donner à entendre cette contestation interne, dans la reprise dont procède chacune de ses phrases : « Tu regardes plus longuement l’immensité du ciel ce soir, qui n’appartiens à aucune, à qui aucune immensité n’est donnée, qui le voudrais pourtant, qui l’as toujours voulu, qui t’es toujours cru à la mesure des immensités, quelles qu’elles soient, qui en as en tout cas toujours rêvé, qui as toujours rêvé qu’une immensité te soit donnée pour ne pas rester sans, c’est-à-dire pour ne pas rester sans consolation, qui en as créé pour, qui t’en es créé pour, qui toutes t’ont dépité, les immensités politiques après les immensités religieuses, et pour les mêmes raisons. » Entends-tu, lectrice & lecteur, en échos à tes impropres désaccords, dans cette mer de textes, au bord de la noyade, l’aspiration à l’immensité dont, peut-être, revient sans trêve le dépit, l’exigence, qui sait, d’en inventer d’autres modalités, d’autres demains où revenir. Peut-être (affirmation volontairement interrogative) serait-ce celle, comme m.s. et f.n., qui parviendrait (le comment ne reste-t-il pas toujours — un mot après l’autre ; une variation formelle après l’autre — à inventer ?) à parler en apparence d’autre chose, à toucher ainsi, qui sait, l’irréfragable mystère de ce qui s’écrit. Maintenir par dissension la virtualité du pas de côté, l’écart. Façon, qui sait, de laisser revenir la jouissance du texte pour parler avec r.b., l’instant où le Moi se perd. Serait-ce une forme de messianisme dont, sans cesse, nous pointons le décept ?


  1. Théoriser dans un écart qui devienne appropriation. Approche anamorphique de l’absence de sujet à l’œuvre, incomplètement, chez p.b.2 Inventer un genre à soi, essayer une autre forme. Une forme qui soit, comme pour les deux versants de Popeye, une reprise, une réponse. La continuation de la forme dialogique ici à l’essai. Une théorie, des rapprochements, des rebonds. Étoiles dans le ciel comme des points à (im)possiblement relier. ↩︎

  2. La continuation de l’écart, donc. On l’a dit, il convient de parler avec et non pas de parler de. Parler à partir d’une résistance, d’une imparfaite adéquation : écrire. Échouer mieux, vieille lapalissade, s’en écarter. Un genre à soi. Critique de la critique. Ce qui ici est mis en jeu est la valeur logique de l’exemple. Quand on dit spéculaire, on veut une autre façon de réfléchir. Prétention. On essaie, on travaille l’échec. On a parlé de ce que l’on voudrait faire, de ce que l’on voudrait lire. On tente ici de lui trouver une incarnation. Pas une illustration. Pas une preuve non plus. Un accompagnement, une parallaxe, des itinéraires miroirs à placer en regard. ↩︎

  3. Un genre à soi. Une forme qui en étoile les contradictions. Deux voix, quoiqu’on y fasse. Peut-être est-ce cela, la critique : pointer l’endroit où la proximité fait défaut. Un scrupule, un repentir. Ce n’est pas exactement cela. On s’en approche. Il faudrait, pourtant, comme dans l’autobiographie, le dire autrement pour s’approcher un peu plus de cette absence. Nous sommes ce qui nous absentifie. Peut-être ne parlons-nous pas exactement de la même chose, peut-être ainsi se dessinent des rapprochements. ↩︎

  4. Revenir, reprendre, inventer une autre origine. Pas seulement, on l’a dit derrière la parole d’un autre, dédire le dit, mais tenter d’écouter en quoi il concerne ce plus que nous-mêmes dont la lecture offre des tangences. En quoi et non comment. On ne saurait t’offrir un manuel d’absence. Rien que des rêveries, des traces, des passages dérobés. Autobiographie de l’autre en soi. Revenir, bien sûr, ce n’est plus de Popeye de Chypre que nous parlons. Nous y revenons seulement pour nous en éloigner. ↩︎

  5. Ce qui revient. Des vestiges de dispositifs. Astroblématique. La discordance de la matérialité aussi. Une évidence trompeuse de la critique sur laquelle il faut revenir : elle devrait nous faire toucher la matière même du livre. Par de subtiles paraphrases, nous éviter le souci de la lire ou, ce qui revient au même, oriente la lecture au point d’empêcher de faire la sienne propre. Oui, mais quelle matérialité a ce qui revient de Popeye de Chypre ? ↩︎

  6. Ce qui revient. L’impossible. Autobiographie de nos altérations : lecture. Image la plus immédiate. Tu relis un livre cher. Tu n’y reconnais plus rien, le texte a changé, c’est certain. Une illusion d’optique. C’est de cela qu’il est question dans les voyages de Popeye. On ne reconnaît rien, on compose une anamorphose, des miroirs menteurs, des reconnaissances de ce que l’on n’est pas encore. Parler de l’intermède (dont jamais on ne saura rien) entre deux livres. Il s’invente quels retours désormais Popeye ? ↩︎

  7. On l’aura compris. L’utilisation de la note de bas de page est elle-même parodique. Une façon de se situer. Un écart à la preuve qui voit le monde universitaire. Passim. Mais une imitation qui exprime aussi un certain doute. Mash-up, ça ne matche pas exactement. Interroger l’amalgame, le mélange de toutes formes d’expressions culturelles. Interroger, au-delà de Popeye de Chypre cette facilité critique à ne parler que des endroits de dissemblances. On veut autre chose qu’une critique qui, en pointant, les dissemblances avec son point de vue, impose une subjectivité, fasse du critique un auteur. ↩︎

  8. Terme employé ici pour s’écarter du critique qui fait son malin quand il croit avoir décelé un motif explicite dans un texte. Nous ne voulons pas révéler les circulations dans Popeye de Chypre ou dans Popeye par les pieds (un peu plus avouons, le vide entre les deux œuvres) que ceux que l’on peut s’inventer. Un exemple (comme s’il fallait incarner le propos) puisqu’on n’en a jamais fini avec le relevé des coïncidences. p.b.2 parle de trouver une « eau seconde », une « seconde immersion » qui serait l’écriture. En parler seulement par écho, rattrapage, de la tierce du rêve↩︎