1
Il y a des années, je suis parti à Venise avec la vague volonté de voir l’emplacement d’où Denis Roche avait pris les images jumelles de la pancarte indiquant la direction de la tombe d’Ezra Pound. Deux photos, visuellement très pauvres, au cadrage presque identiques composées à presque sept ans d’intervalle. Deux photos conçues comme une entreprise plutôt naïve, admet-il, de manifester dans le médium photographique la présence de la durée que par principe ce médium n’incorpore pas.
La définition donnée de l’amour par le photographe, au départ en tout cas, avait guidé mon projet vénitien parce qu’elle décrivait, en le réduisant à sa simple évocation, un état passif-extatique dont l’étrange énoncé grammatical, son flottement, paraissait contenir l’amène recette de l’expérience photographique : regarder l’être aimé être l’être aimé.
Au départ, c’était ça. Je désirais faire l’expérience d’un lieu à travers le regard d’un autre. Partir en quête de cet endroit qu’aucun relevé n’indique, où sur place il n’y aurait rien à voir non plus, sinon mentalement peut-être, mais dont la particularité était d’ouvrir un certain rapport imaginaire à l’indication fléchée balisant le chemin menant à la tombe de Pound, et, par la répétition produite aussi bien que dans le suspens de ce retour, au temps et à la mort. Je voulais arpenter l’île San Michele à la recherche de ce point zéro, et tenter en quelque sorte d’y installer mon regard.
2
Je me rappelle m’être alors souvenu, un peu avant cette excursion, de ce que disait le réalisateur de Vacances prolongées, qu’au cinéma, pour prévenir l’impatience du spectateur et aussi soulager son ennui, le personnage voyage systématiquement sans fatigue grâce aux ellipses qu’admet l’illusion narrative. Joignant le geste à la parole, il baisse à cet instant-là son caméscope de poing vers le sol, l’image se brouille, on n’entend plus ensuite que le souffle crissant du cinéaste ripant sur les éboulis quelque part au fond de l’Himalaya. Sa respiration devient le centre de l’image. Commence alors une singulière épreuve cinématographique puisque la durée du film se fond, durant un long laps de temps, dans le présent de son visionnage.
Je me suis souvenu aussi que le premier plan de ce même film consistait en une séquence qui montre sur fond noir deux tasses émaillées couleur chair empilées de manière bancale. Celle qui se trouve au-dessus oscille légèrement. La cause de ce ballottement ? On l’ignore. Elle bat comme un petit métronome, la tasse, puis ralentit jusqu’à arrêt complet. Cela, sous plusieurs angles, suivis d’un gros plan sur le reflet nacré, presque organique, du fond de la coupe. Pour moi, l’intention ne laisse aucun doute : il s’agit de saisir au plus près le processus de l’extinction — extinction du mouvement, extinction du temps, autrement dit la mort à l’œuvre ; et de filmer cet amenuisement comme s’il était possible d’assister à son dernier instant.
Mon projet de ratisser le cimetière San Michele à la découverte de ce lieu-témoin choisi au-delà de toute motivation esthétique pour devenir quelque chose comme le signe arbitraire de la durée, une indication sans autre qualité que celle de figurer la flèche du temps, était lié, je crois, à la résurgence spontanée de ces bribes de film, aussi fidèlement que le temps à la mort. C’était un désir sans objet précis, une idée de circonstance, une sollicitation simple, sourde, insistante cependant, au-devant de quoi j’ai fini par aller.
3
Dans la répétition de la photo vénitienne, l’écoulement du temps s’illustre par quelques détails négligeables qui viennent s’ajouter ou se soustraire à l’image-témoin, dérisoires différences que je me suis amusé à identifier d’après la description du photographe. Ici, du lierre qui part à l’assaut du poteau indicateur, des arbres abattus à l’arrière-plan, rien d’autre, dit Denis Roche. Rien, en effet, qui saurait donner la mesure de presque sept années écoulées, excepté la légende, les deux dates qui renvoient fatalement aux inscriptions des pierres tombales : 1975-1981. Sept saisons, c’est le temps nécessaire au lierre pour conquérir un territoire vierge, mais aussi le peu qu’il faut à l’antique, au fier cyprès pour dépérir. Les tombes sont sur la photo, bien sûr, puisqu’on est dans un cimetière, mais aussi bien il faut comprendre que la photo est une tombe. Je veux dire, pas seulement une image qui montre une flèche indiquant la tombe, mais dans une réitération propre au geste artistique, cette indication même.
Méditer sur la photographie revient toujours d’une manière ou d’une autre à réfléchir sur la vie en tant que processus d’extinction. Je ne sais plus où un auteur romantique allemand recourt à une image inattendue pour suggérer la nature de ce processus que l’esprit ne peut s’appliquer à lui-même : il le compare à une aiguille pointue. Je ne sais même plus si ce sont ses mots, mais l’analogie était saugrenue : comment un objet, statique, pourrait-il symboliser une dynamique, un progrès vers la fin ?
À la réflexion, je pense qu’il a pu vouloir dire que la vie, comme une épingle, va s’amincissant jusqu’à son extrémité où elle finit par cesser tout à fait. La pensée est certainement incapable de se représenter le fait de l’être qui cesse, et cette métaphore, comme celle de la tasse, lui substitue une vision symbolique, apaisée. C’est peut-être pour ça que j’ai voulu retrouver ce lieu, pour essayer de refaire la même prise, pour avoir la même vision.
4
Quelque temps avant de partir, j’ai eu un rêve, un rêve banal, commun. C’est curieux comme un récit anodin peut déclencher parfois une sensation très profondément déstabilisante. Voici : tu arrives chez toi devant la porte de ton logis. Pourtant tu ne la reconnais pas. Cette porte te paraît étrangère, mais en même temps elle t’est familière. Puis, en te tournant, tu découvres une autre porte que tu n’avais jamais encore vue. Elle ressemble à ta porte, d’ailleurs c’est peut-être la tienne. Mais à cet instant tu n’es plus, mais plus du tout sûr, de ce qui va se trouver derrière.
Qu’est-ce qu’un récit anodin ? me suis-je demandé d’ailleurs. Un récit, peut-être, dont la structure d’attente fait fi de l’idée de progression, un récit où comme dans le travail onirique la distribution de l’information n’est pas calculée. Plus simplement, une histoire qui ne se laisse pas raconter.
Rappelle-toi par exemple le film Mulholland Drive. Attablé dans une enseigne de restauration rapide, le personnage confie à son acolyte qu’il a rêvé du restaurant même où il est assis en train de raconter son rêve (pas exactement le même, en fait, tout était identique sauf la lumière ; et un homme qui était là, se tenant devant lui, à la place du caméraman donc, un homme au visage inconnu, un homme horrible et effrayant). Puis le personnage sort, et l’homme hideux apparaît devant lui, en vrai, créant un pénible malaise sans suspense ni effet superflu. Il est évident que le trouble de cette apparition naît de l’ignorance du niveau de réalité où se trouve le spectateur, du glissement entre ces niveaux. Ou encore, mais cela revient au même, de l’incapacité à savoir ce qui est réel, à établir ce qui est vrai. Elle est très difficile à raconter, cette scène, parce que l’émotion qu’elle provoque (se dire que ça ne peut pas arriver alors que c’est en train d’arriver) n’est pas matière à narration. Pour narrer, il faut insérer le récit dans une structure d’attente. À rebours, les songes ou les peurs intimes ne se racontent qu’au péril de leur intelligibilité.
Je crois que ce jour-là, par surprise, j’ai entrevu le motif qui deviendrait plus tard le cœur de mon voyage : les deux photographies, les deux portes qui ouvraient peut-être sur deux niveaux de réalité. Et, comment ne pas y penser, la possibilité de déléguer mon récit à un autre qui ne serait pas exactement moi-même.
5
Au départ, c’était ça. Aller à Venise et retrouver ce lieu, et dans ce lieu retrouver la flèche indiquant la tombe, et me dire devant ce lieu voici la flèche du temps, voici le Temps lui-même, et me dire : Je suis ici pour cela.
Je rapproche la photo vénitienne d’un autre doublet photographique, trouvé celui-là dans un grenier, parmi un lot d’images datant de la fin du dix-neuvième siècle découvert par hasard. J’ai essayé autrefois, en commentant ces images, de montrer en quoi la vie, telle qu’elle apparaissait dans le viseur de ces nantis, heureux possesseurs d’un « boîtier de mélancolie », était conforme à la conformité bourgeoise qui tend toujours à naturaliser sa propre perception du monde ; comment ils représentaient les espaces sauvages, indéfrichés, hostiles, de la montagne à la manière d’un jardin ou d’une propriété privée — pré carré dans lequel on ne s’allongeait, ne se vautrait jamais assez.
Avec du recul, je considère que j’ai manqué de vigueur à restituer l’horreur que m’inspire ce point de vue, que j’ai manqué de colère aussi. Mais ce n’était pas si simple. La construction de la normalité reste un continent inexploré, un continent invisible, et les outils pour l’appréhender n’ont pas encore été inventés.
En l’occurrence, la difficulté venait de l’ambivalence de ces images, émouvantes, forcément, comme le serait n’importe quelle manifestation inattendue en provenance de l’au-delà, mais en même temps violentes, terriblement choquantes, puisqu’elles organisaient, de manière presque transparente, une fois déployées à la façon d’un éventail, le récit de l’appropriation bourgeoise de l’espace. Je sais que je n’en aurai jamais fini avec ces images, avec ce que disent ces images. Car elles contiennent le principe imaginaire (je ne dis pas : idéologique) d’un rapport au monde placide, simple, jamais inquiet, jamais inquiété, « harmonieux » aurait dit l’auteur de Mars, c’est-à-dire d’un rapport négateur de la vie, un principe mortifère.
C’est aussi pour ça, pour me confronter à ça, que je suis allé à Venise.
6
L’auteur de Mars est sans conteste celui qui a poussé le plus loin, du point de vue de la vie, l’examen de conséquences du mode d’existence bourgeois en disséquant son propre processus d’anéantissement. Pourtant, aujourd’hui encore, son livre, écrit au prix de sa vie, fait figure de météore, et sa lecture reste confidentielle (même retraduit). Il n’en demeure pas moins que l’apport essentiel de son ouvrage réside dans la description du sentiment aristocratique conféré par la grande aisance matérielle dans ses liens avec la physiologie, avec la façon dont cette hauteur qui entend se donner pour universelle impose à la vie de rentrer en elle-même jusqu’à extinction.
Donc parmi les clichés retrouvés, il y avait un doublon. Chose rare, inédite, que ces deux prises à quelques moments d’écart effectuées depuis le même point de vue, si on la rapporte aux conditions matérielles, techniques et symboliques, de l’époque considérée. La répétition témoigne, au minimum, de la volonté de réussir cette image, de réussir la composition de cette image, et donc l’image que véhiculera cette composition, elle témoigne d’un souci de soi et de la mise en scène de soi, à mettre sur le même plan que le souci, pour ces gens, de réussir dans la vie plutôt que de réussir leur vie. Pour aller un peu plus loin, je dirais que la vie, pour eux, s’organise du point de vue de sa représentation, c’est-à-dire que la représentation est, pour eux, un principe supérieur à la vie, laquelle ne peut s’exprimer que sous le rapport, et dans la mesure, où elle accepte d’être vue, c’est-à-dire d’entrer dans une structure.
7
Je voudrais à présent te décrire cette image double pour tenter d’épingler ce que trahit, ce qui s’ouvre dans ce bégayement. Il y a d’abord ça avec évidence : trois hommes, trois alpinistes, alignés devant une cabane, un chalet. La neige est partout aveuglante. Les hommes, les deux premiers, jeunes, chemise, gilet, veston et chapeau à large bord, avec, pour l’un, à la main ce qui semble être un cigare fin ; le troisième plus âgé. Tous portent des guêtres retenues par une simple ficelle, un équipement léger que nous jugerions inadapté à l’environnement de haute montagne que le décor, les piolets et les cordes roulées, nattées, font deviner. Des lunettes de soleil semblables à nos lunettes de natation sont relevées sur leur chapeau. Les deux images ont été prises à quelques dizaines de secondes d’intervalle, aussi rapidement que la technique d’alors permettait d’enchaîner deux prises.
Cette photo est un trophée, n’en doute point. Ni plus ni moins que la corne de rhinocéros que ces deux mêmes auraient tenu, en d’autres circonstances, à rapporter. Vois-les serrer vigoureusement le piolet dans leur main droite, fléchir le genou, chercher des yeux l’objectif. D’une prise à l’autre, les regards se réajustent ; des sourires, des expressions s’essaient.
Mais voilà le détail qui me frappe. Le troisième homme, je suppose que c’est le guide : différence d’âge, de tenue vestimentaire, d’attitude. Il ne prend pas la pose, il a le regard vide, la main molle. Cette nécessité de mettre en structure le récit de soi, il ne l’éprouve pas. Recru de fatigue, d’avoir guidé, repéré les obstacles, contourné les crevasses, interprété les crissements des séracs, veillé à la sécurité de ces vies confiées à lui, il revient, las d’avoir promené ces deux braves aux airs ravis.
8
Et voici ce qui me frappe : dans l’intervalle, lui ne bouge pas. Là où les deux promeneurs s’offrent une seconde chance de faire passer leur grande aventure à la postérité, reconfigurent les traits de leur visage ; le guide, le montagnard, l’ancien, l’enfant du pays, indifférent à ces raisons ou simplement trop las, trop épuisé, reste immobile.
Cela en dit long sur cette emprise, sur sa puissance, sur l’envergure de cette construction imaginaire plaquée sur l’épiderme des choses et sur l’ahurissante dépense psychique qu’il en coûte à l’Homme aux sentiments aristocratiques pour donner consistance à la fiction qu’il habite, sur l’étendue de l’hallucination collective qui, seule, explique que ces gens puissent voir dans le chaos des jours un cosmos heureux.
En réalité, la naturalité de ce mode d’existence (par naturalité, entends le fait de trouver normal, naturel, évident, d’évoluer dans un monde de sa façon), se paie au prix d’une double négation : négation de la vie et négation de soi. D’une part, les moyens de produire ce style de vie et de la maintenir constamment à un tel niveau de plaisir (ou d’indécence si on les regarde d’en bas) sont unanimement occultés, remplacés par un songe total qui réduit le monde à un office dont les rapports naturels sont des rapports de service. D’autre part, l’expression de la personne passe très tôt par l’acquisition d’une structure d’expression qui met l’intimité, le frémissement des nerfs, les émois fragiles encore à peine déclos, au secret dans le tombeau du corps, à l’écart à tout jamais de tout énoncé qui pourrait les dire et qui les transforme ainsi lentement mais sûrement en noirs essaims de frelons.
9
Alors je me suis demandé en relisant Mars, si c’était le fait d’une certaine nature de recevoir si mal les préceptes de l’éducation grand-bourgeoise qui réussit si bien partout ailleurs. On est désormais habitué à penser que la classe dominante, occupée à maintenir l’étendue de ses privilèges, se complaît dans l’entre-soi, qu’elle travaille activement à la reproduction de son capital symbolique, etc. Tout ça a été quadrillé par la sociologie, essoré, pillé, archi su. Quand bien même, cela n’explique pas pourquoi son ambitieux programme bute contre certains individus. Pourquoi échoue-t-il à propulser quelques-uns de ses rejetons dans le tant convoité jardin des délices où tout n’est qu’ordre, chance et légèreté ? Pourquoi les broie-t-il, ceux-là, dans de longues souffrances ?
Trois des frères de Wittgenstein ont mis fin à leur jour.
La maladie de l’écrivain zurichois aussi est un suicide.
Quoique considérable assurément, le nombre de ces âmes tourmentées mais trop éduquées pour faire de leur suicide un coup d’éclat, une action mémorable et enfin digne d’eux-mêmes, fuyant, méprisant comme une coquetterie cette ultime occasion d’attirer le regard sur leur détresse abyssale, chose parfaitement conforme, d’ailleurs, et c’est l’aspect le plus triste, à l’opinion qui leur fut inculquée ; quoi qu’il en soit, leur nombre reste et restera toujours marginal par rapport à l’ensemble des cas de réussite engendrés par l’instruction libérale de ces familles adossées à une fortune colossale. Dans cette perspective de la mise en orbite des générations nouvelles, ces suicides sont simplement considérés comme des ratés de la mécanique. Des rebuts d’exploitation.
10
Imagine maintenant (rêve banal, commun) que tu cries sans parvenir à émettre le moindre son ou bien que tu hurles à t’en déchirer les poumons au beau milieu d’une assistance indifférente. L’un ou l’autre. C’est indifférent. L’un et l’autre, si tu veux. C’est égal. Personne ne t’entend, de toute façon. Oui, imagine ça.
Imagine-le un moment.
Nous pataugeons maintenant en plein cauchemar. Et ce cauchemar, à ceci près qu’il ne ruse pas avec les niveaux de réalité, est au fond peu différent de celui de Mulholland Drive. On peut même avancer l’idée qu’ils partagent deux aspects, qu’ils se ressemblent par contiguïté : la difficulté à intégrer une structure narrative et l’émotion centrale qui les constitue. Distinct de la peur et de ses déclinaisons, le sentiment que ça (l’événement-noyau du cauchemar, son point d’articulation, son pli) ne peut pas advenir — alors même que ça advient — est une émotion qui relève d’une désarmante incrédulité.
Je crois que la puissance horrifiante de ces songes s’explique par le fait, notable, que c’est la candeur enfantine ou si tu préfères, la part intacte du dormeur, lieu préservé des corruptions adultes et des avanies, son point le plus vulnérable qui se retrouve martyrisé par les épouvantables images qu’il a, comble de l’incompréhension, lui-même sécrétées.
Ordre des choses, harmonie des relations sociales, structure des récits : c’est sur chaque strate le minimum de stabilité requis pour les opérations mentales quotidiennes, ce petit coin propre censé tenir à l’écart sa vie intérieure. Un petit carreau ripoliné qui protège l’homme vigile de ses propres cauchemars comme une vitre derrière laquelle s’agitent des insectes fourchus.
Dans le cauchemar, la vitre cède ; en réalité cela arrive aussi.
11
Lorsque je lis le Horla avec mes élèves, j’essaie de les rendre attentifs à la dimension cauchemardesque de la nouvelle. À vrai dire, aucun des raisonnements formulés par le narrateur n’est irrecevable philosophiquement parlant, au contraire ils sont admirablement chevillés. La réalité excède nos sens : il y a bien du réel en dehors de ce que nous percevons là, en un mot — le hors là. Alors pourquoi pas des êtres ? Tout ceci est rigoureusement compatible avec l’état de nos connaissances. Seulement, pour préserver l’esprit de sa propre imagination, c’est-à-dire pour ne pas verser dans le délire, il faut reléguer le songe de cette omniprésence derrière une vitre, le plus loin possible.
Cette idée d’ordre, d’harmonie, de structure qui se retrouve à toutes les échelles est absolument distincte de celle, grecque, de cosmos. Pour les Anciens, la régularité de l’univers, son contour, était le fruit de lois naturelles, la traduction visible d’une perfection invisible. A contrario, l’architecture dont je parle est une production collective purement conventionnelle destinée à cartographier le territoire de la normalité en sédimentant à la manière d’une carapace, peut-être, un havre de tranquillité où tout s’imbrique, s’emboîte comme dans une horloge merveilleuse ; une architecture dont je ne peux démontrer positivement l’existence, mais que je perçois à travers la multiplicité d’actions, de gestes, de paroles qui exigent de prendre forme pour advenir ou simplement avoir le droit d’être considérés.
Voici ce que je pense : la pensée de ce qui nous excède nous paralyse, tandis que l’excès rend fou. Coincé entre les deux, il y a un minuscule creux habitable : trou de roche où s’accroche l’unique crampon des coraux, coque vide où s’enroule l’abdomen d’un crabe mou. C’est là que logent ceux qui risquent de mettre à nu leur regard, comme Denis Roche, ceux qui prennent le risque de l’inintelligibilité, comme Johan van der Keuken, le risque de demeurer inaudible. J’émets donc l’hypothèse que tous les Zorn inconnus furent de même sensibilité, mais qu’à la différence du vrai, ils ne purent, tant leur déroute fut cinglante, trouver refuge dans la zone provisoirement habitable d’un texte, d’une image, et, qu’ainsi, privés de tout moyen d’expression, en proie à ce même désarroi, acculés à la même impuissance, ils tombèrent sous les coups de leur propre fureur.
12
Est-ce autre chose que cela, la fureur ? Autre chose qu’un vouloir-dire dépossédé d’un pouvoir-dire ? N’est-ce pas ça : crier à tue-tête au milieu d’une assistance muette ?
La fureur ne doit pas être confondue avec la colère avec laquelle elle n’a que l’irritation en partage ; elle enfle, s’amplifie, veut déborder, se fortifie dans son creux, comble le moindre de ses interstices ; puis au moment précis où elle atteint son paroxysme, incapable de débonder ou de s’épancher, contentionnée, la voilà qui entre dans une nouvelle phase, passe dans un nouvel état et prend la dimension si particulière de ce cri muet dont je t’ai parlé, remplissant l’espace de son silence assourdissant ; et le désir de mort dont elle s’était initialement nourrie éclate enfin, crève comme une inoffensive bulle translucide sur le miroir d’une eau lisse.
Je me rappelle alors m’être tu un instant, peut-être le temps de regarder par la fenêtre si le taxi était en bas, et qu’ainsi Hélène se trouva dans mon dos. Hélène qui ne disait rien. Hélène qui baissait les yeux dans le demi-jour de l’appartement sans savoir que faire de ce départ ni de quoi meubler cette attente. Et la valise à mes côtés devenant subitement le symbole du reproche qu’elle s’interdisait de m’adresser.
13
J’étais sur le point de partir à Venise à la recherche de ce « je ne sais trop quoi », fallacieusement guidé par l’espoir de retrouver ce lieu qui n’était rien, ni pour moi ni pour personne. Je laissais Hélène derrière moi. Je disais, plutôt je lui avais dit que je désirais partir à la rencontre de ce signe, de ce troublant totem pour m’en approcher aussi près que possible comme si cette flèche n’avait pas seulement acquis par le montage fulgurant du photographe la force d’un memento mori, mais qu’elle était devenue le nœud du temps, son commencement et sa fin. J’avais dit que j’espérais remettre là, ma vie à zéro. Même si cela signifiait détruire l’espoir : car cela signifiait aussi reprendre espoir.
J’en étais déjà venu à penser quelque temps plus tôt que si ce panneau indicateur avait pris une place aussi exorbitante dans mon puzzle intérieur, assez exorbitante en tous cas pour que je lui accorde par anticipation ce pouvoir d’absolution qui aurait dû me permettre — je le croyais vraiment — de reprendre ma vie comme un dé pour la relancer encore une fois, c’est qu’il ouvrait dans l’image une série de reflets emboîtés à l’infini pareils, peut-être, à ceux de deux glaces réfléchissantes tenues l’une devant l’autre. Prises dans la répétition d’un temps dont elles se veulent l’épure, les deux photos font naître, repliées l’une sur l’autre et non plus disposées côte à côte, une bifurcation en jeux de vertige permettant, peut-être, encore, de s’introduire dans l’incroyable jardin aux sentiers qui bifurquent et d’y trouver le chemin du recommencement. Entrer dans le foyer de l’image, relancer la flèche ; supposer cela possible.
14
J’en étais venu à penser cela à cause d’un bête lapsus, simple relâchement, distraction passagère de la part de l’auteur dont la vigilance — son contrôle de la structure, son emprise sur le récit — fut un court instant trompée, une microseconde, au moment où l’écriture s’emballait parce qu’elle essayait de courir le rythme de la pensée, écriture qui, par un débord où s’exprimait librement la pensée, avait entrouvert une porte dérobée, jeté un léger trouble sur la réalité de ce qui était montré. Roche raconte ainsi la reprise en 1981 de la photo de 1975 (ça va très vite, comme si le souvenir était restitué par un instinct conquérant, superbement exempt de doute) : « Je trouvai la pancarte de bois au tournant d’une allée avec ces mots : EZRA POUND, et une flèche. »
Mais voici ce qui avait retenu mon attention : le panneau est là, l’indication aussi. Les majuscules reproduites en majuscules sont fidèlement tracées sur la pancarte de bois. Mais voici que Roche ajoute : « et une flèche ». Il l’ajoute avec un « et » signifiant « en plus ». Or, à San Michele, il n’y a pas une pancarte « et » une flèche : la pancarte est la flèche. À lire le récit de Roche, il n’y a donc pas seulement reprise du même objet dans le même cadre mais ajout dans l’opération photographique d’un supplément imaginaire introduit lors de la remémoration de la prise, comme s’il y avait le désir que la photo produise ce supplément, pas n’importe quel supplément, la forme : une flèche.
Voilà donc un diptyque qui se donne pour thème de retrouver le même objet à distance de temps afin de l’envisager sous le même jour ; avec ceci que l’objet envisagé pour rendre visible la mesure de temps écoulé est une indication de mort, elle-même symbolisée comme une flèche symbolisant le temps, et que dans la répétition désirée s’ajoute au moment du récit de sa production le fantasme de l’objet représenté, délié de sa représentation : une flèche flottante, vue, voulue, invisible et pourtant là, comme un gué entre les deux images, flèche qui transperce la représentation jumelle, ouvrant un passage, une voie secrète entre deux points du temps, lançant un pont entre les deux, ou pour dire mieux : matérialisant cet entre-deux, l’écart, le cours du temps qui connaît à ce moment-là un flottement capable en puissance d’inverser le signe d’un événement.
15
J’arrivais à la conclusion que les deux images jumelles figuraient deux mondes possibles ; plus exactement deux versions possibles du même monde entre lesquelles existait un point de passage sous forme d’une flèche symbolisant le temps. Pour Hélène, qui savait de longue date que j’inclinais, sitôt que se présentait une amorce de rêverie, à me couler dedans, à dériver dans sa forme comme si c’était une gondole glissant le long de canaux fins aux coudes imprévisibles, jusqu’à finalement me recomposer un être autre que mien, cela, cette capacité à me mouler dans d’autres élans — c’était justement cela qui était insupportable à Hélène.
Hélène qui ne supportait pas que je veuille ma vie autrement. Ne le supportait pas, car elle comprenait : autrement sans elle ; alors que c’était : autrement sans moi.
En allant à Venise, je ne prétendais pas explorer pas une possibilité logique. C’eût été, comme parfois le craignait Hélène, un premier signal de déraison. Je ne voulais pas vérifier s’il était possible, matériellement possible de déporter le destin. Je n’ai jamais douté qu’il fût inconcevable, rationnellement, de passer d’une version à l’autre de l’histoire, de déjuger son passé ou de faire advenir l’inaccompli.
Je voulais seulement explorer la possibilité sensible d’une alternative qui semblait ouverte. Saisir, au moins tenter de saisir cette possibilité qui me tendait les bras. Et, plus j’étais happé par les jeux de reflets des photos, plus se fortifiait en moi la certitude illégitime que ce lieu devait devenir un lieu de non-retour.
Qu’avais-je à perdre ? Et ce peu, ne fallait-il pas le perdre justement ?
16
Dans la nouvelle La Mort à Venise, le personnage du compositeur Gustav von Aschenbach est la proie d’une fascination morbide, d’une fascination qui causera lentement, mais insidieusement, sa perte. De même que Hans Castorp est sidéré par la maladie et la guerre, Aschenbach est fasciné par Venise et la mort ; toutefois la fascination de ce dernier, qui ne transparaît qu’au miroir d’une idéalisation érotique, est une attraction oblique, biaisée : elle déplace pour mieux s’en accommoder l’authentique foyer de la séduction. Le soleil ni la mort, répète-t-on ad libitum, ne peuvent se regarder en face ; mais on oublie de rappeler que leur reflet fut une fois surpris sur le poli d’un bouclier convenablement incliné, soutenu par un bras audacieux, lui-même porté par l’unique souci de vaincre ; cette occurrence mythique affleure chaque fois que l’exploit se réédite à travers le temps. Aussi n’est-il pas exagéré, je crois, de déclarer que Venise incarne l’image de la mort dans la figure du désir.
La plage du Lido sur laquelle meurt Aschenbach est bien davantage qu’une métaphore, c’est l’expression la plus littérale du dernier rivage, ce point extrême, cette pointe d’aiguille pour reprendre la suggestion de Moritz (l’auteur romantique dont j’avais oublié le nom), au-delà de quoi : rien — l’instant où se confondent le regard et la perte comme le préfigure si clairement le mythe d’Orphée. L’ultime vision (ici, la silhouette psychopompe du jeune Tadzio) est une dilatation du regard s’abolissant. À ce point, le mot « regarder » coïncide avec le moment de la perte, strictement. Regarder, c’est perdre ce que l’on voit.
Et songe qu’à l’instant de tes dernières paroles, par une essentialisation identique, les mots les plus communs, galvaudés parce que communs et donc creux, deviennent seuls assez poignants pour signifier quelque chose. Par exemple, dans l’affolante carlingue d’un avion propulsé à la vitesse du son contre un obstacle prémédité, en un sursaut de lucidité, une mère qui écrit à ses enfants « je vous aime » — et ces mots deviennent le substrat, la substance de toute une vie latente, interrompue, siphonnant la totalité des gestes affectueux et des échanges émus de centaines de millions de secondes partagées pour la condenser, vitrifiée, en un unique diamant, transparent à qui doit le recevoir.
Mais voilà qui est suffisant à ce sujet.
17
Je voulais juste comparer Aschenbach et Zorn sur un point afin de faire observer ceci : l’artiste hisse la beauté au-dessus de sa propre vie de telle sorte que, chez le premier, le désir porté à son extrême se transforme naturellement en motif de mort. Mais chez le second, le fils de bonne famille, éduqué à obéir et devant apprendre à aimer cette soumission, ce fils humilié jusque dans ses modestes revendications de liberté, de geste, de parole, de sentiment, dans la moindre manifestation de ses goûts ou encore dans la genèse de son ambition, dans l’attrait de la beauté justement, chez lui, le désir s’est transformé en motif de persécution. On a si habilement, si tranquillement joué de son désir qu’il s’est introverti en fléau qui tance, qui tanne, en inavouables culpabilités qui, pareilles à ces Érinyes fouettardes qu’aucune prière n’infléchit jamais, ont renversé contre lui systématiquement et négativement les élans, les aspirations, les nobles élévations qui peut-être, peut-être seulement, lui auraient permis de s’extraire de ce nœud-ventouse l’aspirant vers l’abîme.
Je crois seulement que Zorn aurait voulu supplier les vivants d’être plus attentifs. Attentifs à sa constitution, à sa si curieuse disposition intérieure, quoique j’aie encore maintenant de la peine à discerner en quoi consiste cette spécificité, en quoi Zorn était différent de l’infinie cohorte de ces semblables. C’est peut-être d’avoir toujours à faire autrement qu’il ne faisait, d’avoir toujours à être autrement qu’il n’était, d’être constamment dévié de son orbite, délogé de son verbe, cela, et non l’austérité de principes profitables, non plus que l’exercice d’une autorité sans contradiction, qui l’a poussé dans la fosse.
Je pense juste que Zorn aurait voulu être un homme de verre : visiblement transparent et fragile. Il n’était pas suffisant que sa famille le sût mortel ; cassable, elle en eût pris soin davantage. Mais à dépeindre le jeune homme sous le jour de son intime faiblesse ne recule-t-on pas l’horizon du problème ? Car ensuite ? Faudrait-il la supposer de naissance cette faille, ou bien croire qu’elle survint accidentellement, comme un accroc ? Et si ce fut un accident, pourquoi advint-il sans fracas, quoique profondément douloureux ?
Et encore : comment fut-il possible qu’un accident devînt si essentiel ?
18
Je dirais volontiers que Zorn était travaillé tout entier par cette tension : la volonté, d’une part, d’en finir avec une sensibilité exogène qui l’entravait au sein de son propre groupe, soit un effort toujours accru de dissimulation pour contrer le conformisme ambiant ; le tropisme, d’autre part, qui lui faisait désirer renouer avec cette sensibilité pure d’avant la catastrophe, comme si renouant avec cet antécédent majeur, qui contenait en germe son être vrai (comprends : celui qu’il aurait dû devenir), il y avait encore moyen d’être fidèle à lui-même, réconcilié, sauvé peut-être. Voilà sa tenaille à lui : un mouvement régressif qui l’a poussé à l’effacement de soi et au mutisme ; un mouvement involutif qui cultivait en secret le mythe de l’unité perdue, de cet autre soi-même, plus vrai, plus authentique, plus invraisemblablement beau — préservé de la souillure.
Ce dont il est question au fond, c’est de cette impuissance à grandir qui ne le quitta pas. De son sous-développement affectif. Par exemple, l’impossibilité d’aimer, que Zorn tenait pour la conséquence suprême de son malheur, était liée sans aucun doute au stade infantile (honte du corps, peur de l’autre, rejet du plaisir) où il s’était englué pour survivre dans cette société adulte qui lui avait assigné implicitement, sans le verbaliser jamais, le rôle de l’enfant sage, fidèle aux valeurs dynastiques. Paralysé dans son repli, travaillant à se faire oublier autant qu’à s’oublier soi-même, il espérait avec un discernement tout relatif qu’une âme aimante, à condition d’être vraiment pure, aurait eu l’audace de descendre dans les limbes où il fermentait pour le tirer de là et dissiper son cauchemar. Naïvement sans doute, il voyait dans l’amour sa planche de salut. À vrai dire, quoi d’autre ?
Mais l’ange ne vint pas.
Et s’il était venu ? demandes-tu. S’il était venu, Hélène, alors Zorn aurait pu disposer d’un monde et il aurait été capable pour ce monde de forger des promesses, et ainsi de s’arrimer à un avenir plus, un peu plus, glorieux. Ça ne l’aurait pas apaisé. Ça ne l’aurait pas réconcilié. Contrairement à ce qu’il imaginait. Mais ça l’aurait doté d’une certaine force. D’une certaine endurance, oui.
19
Le temps reversait à Zorn jour après jour le même présent. Il vivait dans le repli, à l’abri de la violence dans un coin obscur de sa chair ; et pourtant il n’était pas libre de grandir, se développer et croître. Retourné sur lui-même à l’image d’une bête en cage. Te rappelles-tu combien t’avait bouleversé le triste spectacle de cet orang-outang en captivité que nous vîmes, ne sachant pas être triste d’une tristesse qui nous soit commune, être triste de tristesse au-delà de tout savoir ? Le corps flamboyant du fier animal croupissant derrière des barreaux, de sales barreaux, te fit l’effet, avais-tu dit, d’un miroir cruel. Ainsi va le temps qui n’ouvre sur aucun possible, qui n’apporte aucun élan, ni aucune douceur, ni joie, ni surprise, ainsi va le temps des résignés.
Mais le plus terrible sans doute, c’est que Zorn en était venu à se convaincre que s’il était enfermé, si tous les muscles bandés de sa volonté s’efforçaient de contenir sa vigueur, c’est qu’il était brutal et très certainement dangereux. Venu à croire à la réalité de ce fond de méchanceté qui exigeait d’être réprimé violemment ; à croire qu’il méritait d’être écrasé d’un coup de talon sec comme un vulgaire insecte.
Il avait donc acquis, par lentes concrétions, la certitude de son infériorité. Retiré dans sa coque, tremblant de tous ses membres, respirant à peine derrière sa fine, trop fine cloison pour ne pas laisser deviner sa présence, tapi dans l’obscurité derrière la paroi qui le défendait, Zorn redoutait par-dessus tout de la voir se déchirer, aussi se cramponnait-il désespérément à sa construction intérieure, à son minable édicule, à son fortin d’impuissance, de peur d’en être délogé, y compris par l’amour. Arrivé à ce point d’étranglement où l’on souffre de tout, mais où la cessation de la souffrance représenterait une souffrance encore plus grande, quelle porte y a-t-il ?
Il n’y en a pas.
20
Et voici ce que j’ai pensé : dans le rêve, on se persécute soi-même. On intercale des portes entre sa raison et la perception qu’on a de soi-même de sorte qu’on ne reconnaît plus vraiment les objets éclairés sous cette lumière instable, ce qui revient secondairement à admettre qu’on se dissocie en s’assoupissant, même s’il est difficile de nommer avec certitude les entités que le sommeil sépare. Il semble toutefois que tout le temps que la vie lucide se retire, le corps du rêveur, tel un baigneur hors de l’eau, frissonne d’une autre vie qu’il serait peut-être bon d’appeler, par opposition, végétative. Le commutateur de la conscience poussé sur « off », c’est cette vie végétative, corporelle, qui perce enfin dans cette expression mimoplastique que sont les songes, vie intime qui, à travers des thèmes puisés dans l’histoire personnelle de chaque rêveur, modélise sa propre réalité infra-sensible, sans traduction possible.
Je crois que la vie de Zorn fut identique à un long rêve douloureux, dominée à la fois par un tragique sentiment d’irréalité (n’avoir pas vécu) et d’imposture (n’être pas soi). Un long rêve où cherchant à fuir ce qu’il était, il était sans cesse ramené à son point de départ : tournant en rond de manière inintelligible, revenant toujours à lui, suscitant pour se consoler l’épouvantail même qui le hantait. Et cela sans fin, jusqu’à la fin.
Disant cela, je me rappelle avoir observé dans la rue pavée l’arrivée du taxi qui d’en haut ressemblait à un modèle réduit, avoir suivi le chauffeur manœuvrer pour ranger son véhicule en double file, allumer les feux de détresse ; puis m’être tourné doucement vers Hélène. Immobile dans la pénombre, Hélène et son beau ventre rond. J’ai vu alors le visage si confiant d’Hélène, si rempli de forces, sa silhouette émouvante, et je me suis avancé.